A Goma, les graffitis de Didier Binyungu appellent à la paix
L’art pour mettre en avant et célébrer la paix. C’est l’ambition des fresques murales qui seront réalisées à Kinshasa et à Goma à l’occasion de la journée internationale de la paix, édition 2024. Dans la capitale du Nord-Kivu, Didier Binyungu proposera une création originale. L’œuvre du graffeur qui fera 4,50 mètres de long et qui aura pour thème « La désinformation, un fléau qui mine la paix » sera réalisée sur le mur extérieur du bataillon uruguayen de la MONUSCO, à Goma.
Né au Sud-Kivu en l’an 2000, Didier grandit à Goma. Dès le plus jeune âge, il dessine partout et sur tout. Il se découvre une passion pour le dessin, dont il fera plus tard son métier. Membre fondateur du centre culturel Chukudu Arts Center, de l’Ong Art et Droits Humains (ADH) et de la galerie d'art Elikia Arts ('espoir' en lingala), il est devenu une figure incontournable de l’art visuel au Nord-Kivu (RDC) reconnue aussi bien en RDC qu’à l’étranger. Il raconte qu’en « étant enfant, je griffonnais sur mes cahiers à l'école primaire. Quand j'ai eu 10 ans, mes parents voyant mon penchant pour le dessin m'ont inscrit dans un centre culturel à Goma où j'ai commencé à suivre quelques cours et, à l'âge de 12 ans, j'ai obtenu un brevet en dessin. En 2013, j'ai commencé à m'intéresser à la bande dessinée et à l'illustration et j'ai participé à un concours lancé à l’époque par le festival Amani dont le thème était la paix ».
Après un autre brevet de dessin obtenu en 2014, il remporte en 2015 le Grand Prix de dessin et de bricolage décerné par l’association Artistes Jeunes Talents (AJT) à Goma. Cette reconnaissance précoce l’encourage définitivement à poursuivre une carrière artistique. Il se perfectionne dans les arts visuels, en se concentrant sur le graphisme, la peinture, l’illustration et l’art conceptuel.
« Pour moi, c'était un défi que je devais conjuguer au quotidien entre l'école et l'art. Après l'école, je passais mes soirées au sein d'un collectif de peinture où je continuais à me perfectionner », confie-t-il. Tout en poursuivant sa scolarité à l'Institut Kyeshero, dans l’une des communes de la cité lacustre, Didier Binyungu se spécialise dans la construction de bâtiments et, en 2018, obtient le diplôme d’État de fin d’études secondaires (humanités).
L’art pour faire réfléchir
En 2021, il participe à une tournée d’exposition intitulée « Muripuko » portant sur la dernière éruption du volcan Nyiragongo et, l’année d’après, il expose à la Foire Internationale d’Art Contemporain (FIAC) à Paris en France. En 2023, il représente la RDC au Festival international des arts contemporains au Maroc.
Le travail de Didier Binyungu est centré sur les réalités de la vie quotidienne et les conflits humains. Il explore des thèmes comme la migration, la spiritualité afro-universelle et la communication sociale interculturelle. Son objectif est de dévoiler des réalités souvent ignorées, afin de sensibiliser le public, susciter une réflexion et inciter à proposer des solutions.
Sa démarche artistique utilise principalement deux supports : la toile et le mur. Pourquoi les murs ? L’artiste explique : « Les murs extérieurs permettent d’atteindre toutes les couches sociales de la population et de transmettre un message de manière claire ». Sa technique de symbolisme avec des nuances chaudes est conçue pour accentuer l’émotion et les vibrations que suscitent ses sujets. Didier Binyungu utilise le graffiti comme un puissant vecteur de communication, capable de transmettre des messages de paix dans des espaces publics.
Son intérêt pour le graffiti est né après avoir découvert à la télévision le travail du célèbre artiste de rue Banksy. Fasciné par l’impact visuel et la liberté d’expression qu’offre le graffiti, il décide alors d’explorer cette forme d’art. Avec des amis artistes, il invite à Goma durant deux semaines l’artiste graffeur Joseph Mapuya, basé à Kinshasa, afin que ce dernier leur apprenne les techniques de base du graffiti.
« Cela m'a émotionnellement touché et c'est ainsi que je me suis également lancé dans cette forme d'art. J'aime passer du temps à réfléchir sur comment exprimer mes émotions à travers l’art. J'aime ce temps du début de la réflexion jusqu'à la décision finale avant de pouvoir coucher quoi que ce soit sur un mur, sur une toile ou sur un papier avec mes pinceaux et mes couleurs », explique le graffeur.
L’art en faveur de la paix
Cette expérience a été déterminante pour Didier Binyungu qui apprécie la liberté artistique et la capacité du graffiti à véhiculer des messages de paix. Dans cette région troublée de l’est du Congo, l’artiste se veut engagé.
Aujourd'hui, il vit exclusivement de son art, réalisant des commandes de graffiti, de peinture, et d’infographie pour divers clients, allant des particuliers aux institutions et autres ONG. Par ailleurs, il travaille avec le Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa en tant que consultant en communication visuelle, en charge de la charte graphique des programmes de cette entité.
Avec Didier Binyungu, l’art n’est jamais loin. Récemment, il a participé à un projet touchant, en peignant plusieurs tentes dans lesquelles vivent des personnes déplacées internes dans le camp de Kanyaruchinya, à environ huit kilomètres au nord du centre-ville de Goma. Ce projet, réalisé en collaboration avec d’autres artistes du centre culturel iNgoma, visait à apporter des messages de paix aux personnes vivant dans des conditions grandement précaires. Les enfants déplacés ont même eu l’occasion de peindre avec Didier, transformant cette activité en une sorte de «thérapie» pour améliorer leur quotidien.
À travers ses œuvres, Didier Binyungu démontre que l’art peut être un puissant outil de changement social.
A l’occasion de la journée internationale de la paix, célébrée le 21 septembre de chaque année, sa fresque réalisée à Goma sera non seulement un hommage à l’art comme vecteur de paix, mais aussi un appel clair à la responsabilité collective pour contrer la désinformation et promouvoir une culture de la paix.
Didier Binyungu incarne l’idée que « La paix commence par moi ». Son engagement artistique, sa passion pour le graffiti et sa volonté de sensibiliser à travers l’art font de lui un ambassadeur précieux de la paix en RDC et au-delà.