Leila Zerrougui : « J’espère que l’année 2021 sera plus clémente pour nous tous »

La cheffe de la MONUSCO, Leila Zerrougui, arrivant à Goma, dans le Nord-Kivu, avec le chef du Département de maintien de la paix de l'ONU, Jean-Pierre Lacroix, en décembre 2020.

23 déc 2020

Leila Zerrougui : « J’espère que l’année 2021 sera plus clémente pour nous tous »

Radio Okapi

|INTERVIEW|

Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU vient de proroger jusqu’au 20 décembre 2021 le mandat de sa Mission en RDC, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU en RDC, Mme Leila Zerrougui, affirme que la MONUSCO va « continuer à mettre en œuvre ce que le Conseil de sécurité a considéré comme prioritaire »,  à savoir  la protection des civils et le renforcement des capacités de l’État, à travers la stabilisation des institutions.

Au cours d’un entretien sur Radio Okapi mardi 21 décembre 2020, la cheffe de la MONUSCO a émis le vœu que l’année 2021 soit plus clémente pour tout le monde ; et en particulier pour les populations vivant dans les zones qui subissent encore les affres des violences et attaques dues aux groupes armés.

Leila Zerrougui assure que la MONUSCO « fait tout ce qu’elle peut », en collaboration avec le gouvernement, afin de mettre fin à la souffrance des populations. Elle est interrogée par Honoré Misenga Kalala. 


Honoré Misenga Kalala : Madame Leila Zerrougui, Bonjour… 

Madame Leila Zerrougui : Bonjour.

H. M. K. : Le Conseil de sécurité de l’ONU vient de proroger le mandat de la mission onusienne en RDC jusqu’au 20 décembre 2021. Quel est le sens de cette nouvelle résolution pour une mission comme la MONUSCO ?

Mme L. Z. : Je pense que le plus important c’est que le Conseil de sécurité nous fait confiance, renouvelle le mandat avec les grandes lignes qui existaient déjà ; c’est à dire, un, la protection des civils, deux, le renforcement des capacités de l’État, stabilisation des institutions. Donc, je pense que c’est quelque chose de positif et nous allons continuer à mettre en œuvre ce que le Conseil de sécurité a considéré comme prioritaire, et sur lequel nous avons déjà travaillé et nous continuons à le faire.

| Ecouter l’interview :

H. M. K. : Parmi ces priorités, il y a également l’appui aux principales réformes en matière de gouvernance. Qu’est-ce que la RDC peut attendre concrètement de la MONUSCO concernant notamment les différentes reformes, lorsqu’on sait que le Conseil de sécurité s’est félicité des dernières initiatives du président Tshisekedi ?

Photo Présidence de la République Démocratique du Congo

Mme L. Z. : Vous savez, une mission de maintien de la paix, c’est quand même des expertises qui sont sélectionnées et payées par les Nations Unies, qui se trouvent dans le pays. Des expertises en matière de SSR [Security Sector Reform], c’est à dire les reformes pour militaires et le renforcement des capacités des FARDC, de la Police ; et aussi des expertises en matière des droits de l’homme, en matière de protection de l’enfant… Donc, c’est des experts mis à la disposition des autorités et ils peuvent les utiliser gratuitement. Demain, si la mission n’est pas là, pour ramener un expert, il faut d’abord pouvoir l’identifier, il faut qu’il soit disponible et il faut le payer. Donc, c’est ça l’avantage d’avoir une mission de maintien de la paix et avec ces expertises-là, à la disposition des autorités. Le Conseil de sécurité a signalé le renforcement des fonctions régaliennes de l’État d’une façon générale. C’est à dire : renforcer la justice, la police, l’administration pénitentiaire, l’administration locale, et renforcer aussi les capacités et les moyens de réponse des FARDC. Donc, c’est toutes ces fonctions-là. Et bien évidemment, si le gouvernement identifie quelque chose de prioritaire et a besoin de notre soutien, même en dehors de ces quatre chapitres qui ont été identifiés, et donc s’il a besoin de l’expertise de la MONUSCO, nous sommes là. S’il n’en a pas besoin, et il a les capacités de le faire seul, on n’est pas là pour nous imposer. Nous, on est là pour les appuyer. 

Il y a des gens qui meurent, il y a des gens qui sont tués, il y a des groupes armés qui vivent sur la population et donc, certains pensent que la MONUSCO a les capacités de finir cette menace et elle ne veut pas le faire. Je dis que la MONUSCO fait ce qu’elle peut et on travaille ensemble, avec le gouvernement, avec les autorités.

H. M. K. : Madame, revenons un peu sur la protection des civils. Quel est ce plus que va apporter la mission tout au long de son mandat en 2021 ?

Mme L. Z. : Pour ce qui est de la protection des civils, nous sommes déjà en train d’avancer pour changer ce narratif qui fait qu’on pense qu’une mission de maintien de la paix elle vient, elle va faire la guerre, elle va finir l’ennemi, et elle rentre chez elle. Quand on a un conflit interne, ça veut dire qu’on a des problèmes qui ont généré le conflit. Et ça veut dire qu’il faut travailler sur les causes profondes. Il faut cibler celui qui commet des exactions sur les populations, bien sûr. C’est pour ça qu’il faut des actions militaires. Mais le plus important, c’est aussi d’identifier : c’est quoi qui nourrit ces conflits, comment assécher le marécage qui continue à nourrir ces bêtes. Donc, on travaille là aussi sur les causes profondes, comment on peut réconcilier des communautés, renforcer la justice… Donc, c’est tout ce travail qui est « protection des civils ».

H. M. K. : Alors, Madame, avez-vous un message particulier pour les populations de Beni, par exemple, à la suite de ce nouveau mandat de la MONUSCO ?

Mme L. Z. : Alors, je dis à la population de Beni, de Butembo, de Bunia, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, toutes ces zones qui subissent encore les affres de ces attaques de groupes armés et de violence ; dans ces moments des fêtes de fin d’année et de noël, d’abord je leur dis bonne fête. J’espère que l’année 2021 sera meilleure que l’année 2020, j’espère que tout ce qu’on a subi au cours de cette année, lié à la guerre, lié à la maladie… j’espère que l’année 2021 sera plus clémente pour nous tous. Maintenant, pour la population de Beni-Butembo particulièrement, il y a des gens qui meurent, il y a des gens qui sont tués, il y a des groupes armés qui vivent sur la population et donc, certains pensent que la MONUSCO a les capacités de finir cette menace et elle ne veut pas le faire. Je dis que la MONUSCO fait ce qu’elle peut et on travaille ensemble, avec le gouvernement, avec les autorités. Et notre objectif, c’est d’appuyer toutes les initiatives pour que la protection soit réelle. Manifester contre la MONUSCO, l’accuser de soutenir des groupes armés, n’est pas la solution. La solution, c’est d’encourager ceux qui sont déployés dans des conditions difficiles, ceux qui ont perdu déjà leurs camarades, le plus gros de nos pertes, depuis qu’on est là, ça s’est passé à Beni-Butembo. Nous avons des gens qui sont morts, qui ont laissé familles et enfants chez eux et qui sont morts dans cette zone. C’est des gens qui viennent de très loin et ont laissé des familles, et qui sont morts sur le sol congolais. Donc, si on veut vraiment encourager ceux qui restent, ceux qui travaillent dans ces conditions, avec la peur et tout ça, c’est de ne pas les décourager à travers des accusations qui n’ont aucun sens, à travers des pressions qui ne sont pas les meilleures. Je comprends que les gens soient frustrés, je comprends la souffrance de ceux qui sont menacés, ceux qui ont quitté leurs zones, qui ont vu leurs villages brulés. On fait ce qu’on peut et parfois on ne peut pas faire plus, malheureusement pour nous. Je comprends cette frustration, mais j’insiste : ne démoralisez pas les gens, ne racontez pas ce qui n’est pas vrai mais essayez plutôt de mettre une pression positive, les gens vont faire plus, ils vont vous aider. Bonne fête de la natalité, joyeux noël et bonne année 2021.

H. M. K. : Madame la Représentante spéciale, merci.