Ituri : à Djugu, les femmes relancent le dialogue de paix entre Mandro et Ezekere

Cette activité s’inscrit dans une série d’initiatives portées par la MONUSCO pour renforcer le dialogue communautaire en Ituri, notamment dans le territoire de Djugu.

11 juin 2025

Ituri : à Djugu, les femmes relancent le dialogue de paix entre Mandro et Ezekere

Didier Vignon Dossou-Gbakon

Cinq années se sont écoulées avant que des notables du groupement d’Ezekere ne remettent enfin les pieds à Mandro. Une journée historique, marquée par l’émotion, la sincérité et l’espoir, quand Lendu et Hema se sont assis face à face, se sont parlé et ont osé franchir la barrière de la peur.

Cette rencontre a été rendue possible grâce à l’initiative des femmes médiatrices de l’Ituri, formées par la MONUSCO à travers sa section Genre, qui ont organisé une médiation de proximité le 3 juin. L’activité a réuni majoritairement des femmes leaders des deux communautés, ainsi que des représentants de la société civile, des jeunes et les chefs de groupement, dans un seul objectif : améliorer la cohabitation pacifique et restaurer les échanges socio-économiques entre Mandro et Ezekere.

Mandro, à 12 km au nord-est de Bunia, est une localité rurale du territoire de Djugu, chefferie de Bahema Banywagi, groupement Tambaki, majoritairement habitée par des Hema vivant d’élevage bovin et d’agriculture de subsistance (manioc, haricots). Ezekere, située à 10 km de la ville, relève du groupement Bedu Ezekere, secteur de Walendu Tatsi. Elle compte une population majoritairement Lendu. On y pratique l’agriculture (céréales, légumes) et l’artisanat, notamment la fabrication réputée de couteaux artisanaux.

Ces deux localités ont longtemps été affectées par des violences intercommunautaires. Une simple rivière les sépare, cependant les traumatismes accumulés les ont transformées en frontières intérieures, infranchissables.

Paroles, sourires, accolades et regards d’espoir

Ce mardi, à Mandro, les sourires ont refait surface. Les accolades entre femmes, les poignées de main entre chefs de groupement, les rires partagés et des chants improvisés, autant de gestes simples mais puissants témoignent de la volonté de franchir les barrières entre les communautés. Trente-six leaders communautaires (vingt femmes et seize hommes) ainsi que cinq autorités locales, tous des hommes, ont pris la parole à tour de rôle pour exprimer leurs craintes, confronter leurs préjugés et discuter des réalités sociales et sécuritaires qui alimentent les tensions.

Les médiatrices ont animé des exercices pratiques inspirés des techniques de médiation, révélant les peurs profondes de chacun et amenant les participants à proposer ensemble des pistes de solution. Marguerite, secrétaire des mamans leaders d’Ezekere, est venue à Mandro pour la première fois. Femme calme et déterminée, elle raconte : "Quand j’ai annoncé à ma famille que je partais pour Mandro, ils avaient peur. Moi, j’étais confiante. Ce n’est pas normal d’avoir peur d’aller à la rencontre de ses voisins. Aujourd’hui, j’ai parlé avec les femmes de Mandro, on a partagé nos douleurs et nos rêves. Je reviendrai, même pour aller faire le marché".

Micheline, enseignante originaire de Mandro, qui travaille dans une école du groupement Lendu, incarne par sa présence la possibilité d’un vivre-ensemble fragile mais réel : "Je vis tous les jours cette cohabitation. Il y a des tensions, mais il y a aussi de la vie, des enfants qui jouent ensemble. Voir aujourd’hui nos deux chefs de groupement assis côte à côte, se serrer la main, ça me touche. Ce sont des gestes simples mais forts de sens."

MONUSCO en soutien, femmes en action

Cette activité s’inscrit dans une série d’initiatives portées par la MONUSCO pour renforcer le dialogue communautaire en Ituri. Comme à Djugu, où la réouverture de plusieurs marchés a permis de recréer des espaces de mélange entre populations, la Mission soutient activement des médiations de proximité.

Love Kitambo, médiatrice formée récemment à Entebbe aux techniques de médiation TPN (Tierce Partie Neutre) avec l’appui de la section DDR-S/MONUSCO, faisait partie de l’équipe de facilitatrices. Elle rappelle : "Nous avons réalisé des pré-médiations, identifié les peurs, les blocages. Aujourd’hui, chacun a pu dire à l’autre ce qu’il ressent. On a vu des larmes, mais aussi des sourires. Une femme m’a dit qu’elle avait du mal à cuisiner faute de bons couteaux qui ne se vendent qu’à Ezekere. Des détails, mais qui montrent combien le lien est rompu. Nous voulons le retisser".

Alain Rubenga, officier genre à la MONUSCO, souligne le rôle essentiel des femmes dans ces démarches : "Les femmes ne sont pas les instigatrices des conflits, mais elles en subissent les conséquences les plus lourdes. Elles veulent aujourd’hui devenir actrices de paix. C’est pour cela que nous les soutenons afin qu’elles mènent ces dialogues au cœur des villages, là où naît la paix".

Vers une paix durable

Au terme de la journée de dialogue, les participants ont appelé le gouvernement à accélérer le processus P-DDRCS et à intégrer l’éducation à la paix dans les écoles. Ils recommandent également à la MONUSCO de poursuivre son appui aux médiations communautaires et aux actions de détraumatisation, en particulier pour les femmes et les jeunes filles. À travers cette initiative, la MONUSCO confirme son rôle de catalyseur du dialogue et des efforts de paix en Ituri. En appuyant les femmes médiatrices et en rapprochant les communautés, elle contribue à rebâtir des ponts de confiance. Car derrière chaque main tendue, chaque regard échangé, c’est un pas de plus vers la paix qui s’amorce. Le 3 juin dernier à Mandro, malgré les cicatrices, les communautés ont montré qu’elles pouvaient encore croire en un avenir commun.

 

 

 

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