Ituri : un procès fictif inédit pour sensibiliser aux dangers de la désinformation
Dieumerci Kati, 34 ans, est accusé d’avoir diffusé sur WhatsApp une rumeur d’empoisonnement. Sans vérification, le message s’est rapidement répandu dans plusieurs groupes causant des dommages irréversibles. La personne faussement mise en cause a vu sa réputation ruinée et s’est retrouvée isolée.
C’est le scénario d’un procès fictif organisé le 20 juin à Bunia par la section de la Communication stratégique et de l’information publique de la MONUSCO, dans le but de sensibiliser aux effets de la désinformation.
Les larmes de la victime et les justifications confuses de l’auteur du message ont profondément ému la centaine de personnes présentes. « Depuis que ces messages circulent, je ne dors plus. On me montre du doigt, certains m’évitent, d’autres me traitent de meurtrier. J’ai perdu ma femme. Ma vie a basculé à cause de ce mensonge », témoigne la victime invitée à s’exprimer. L’accusé a reconnu les faits, déclarant qu’il s’agissait, au départ, « d’une simple blague ».

Pour Jean-Tobie Okala, responsable de l'Information publique de la MONUSCO en Ituri, le choix d’un scénario proche du quotidien visait à montrer qu’une rumeur, même lancée sans intention de nuire, peut avoir des répercussions graves tant pour les individus que pour la société.
À l’issue des débats, le tribunal fictif a prononcé une peine de deux mois de prison, assortie d’une amende d’un million de francs congolais et d’un dédommagement symbolique pour la victime.
Entré en vigueur en mars 2023, le code du numérique en République démocratique du Congo encadre strictement la diffusion de fausses informations. L’article 360 dispose : « Quiconque initie ou relaie une fausse information contre une personne par le biais des réseaux sociaux, des systèmes informatiques, des réseaux de communication électronique ou tout autre support électronique, est puni d'une servitude pénale d'un à six mois et d'une amende de cinq cent mille à un million de francs congolais, ou de l'une de ces peines seulement ».

Informer pour mieux prévenir
Le procès s’inscrivait dans le cadre d’un atelier consacré aux mécanismes, enjeux et impacts de la désinformation. Une centaine de jeunes, dont une trentaine de filles, ont participé à cette session axée sur ses répercussions sécuritaires.
En Ituri, certaines rumeurs visant l’armée, la police ou la MONUSCO ont déjà mis en péril des opérations contre des groupes armés. Ces derniers, eux aussi actifs en ligne, exploitent les réseaux sociaux pour manipuler l’opinion et déstabiliser les institutions. Le code du numérique a été présenté aux participants pour rappeler que la circulation non maîtrisée de contenus engage désormais la responsabilité pénale.
La salle d’audience de la Cour d’appel de Bunia, choisie pour accueillir la formation, portait une forte charge symbolique. « Nous avons voulu montrer aux jeunes que la désinformation peut les conduire à des poursuites judiciaires s’ils n’y prennent garde », explique Jean-Tobie Okala.
Comprendre les risques
La désinformation agit comme un catalyseur de tensions, exacerbe les clivages et entretient les conflits. Le manque de recul face aux contenus partagés facilite sa diffusion. « La critique est légitime, mais elle doit reposer sur des faits. Avant de relayer une information, qu’elle concerne une autorité, une force de sécurité ou un voisin, chacun devrait se poser trois questions : est-ce vrai ? Est-ce utile ? Est-ce responsable ? », recommande M. Okala.
À la fin du procès fictif, plusieurs participants ont exprimé leur ressenti, entre émotion et prise de conscience. Fidèle Kazadi, étudiant en droit à l’Université de Bunia, confie : « La désinformation est un poison pour notre société. Dans un contexte aussi fragile que celui de l’Ituri, elle devient une arme redoutable. Aujourd’hui, j’ai compris qu’il ne faut pas se contenter de transmettre un message. Il faut le questionner, vérifier sa source et en mesurer les effets. Je m’engage à ne plus diffuser ce que je ne peux pas confirmer, et à encourager les autres à faire de même ». Pour sa part, Virginie Kakori, responsable de la jeunesse à Mbunya, déclare : « Cette initiative m’a ouvert les yeux. Trop souvent, nous partageons des contenus sans réfléchir. Mais, derrière chaque rumeur, il peut y avoir une victime. La désinformation détruit, divise et menace la paix ».
Ces témoignages convergent vers une même certitude : la lutte contre la désinformation ne dépend pas uniquement des institutions. Elle repose avant tout sur un réflexe citoyen : s’assurer de la fiabilité d’un contenu avant toute diffusion.
