Beni : des journalistes outillés pour lutter contre la désinformation

«Grâce à cette formation, je prends plus de recul par rapport aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux», explique Dieubon, éditeur Web pour le site d’informations en ligne election-net.com. Photo MONUSCO/Joel Bofengo

22 fév 2024

Beni : des journalistes outillés pour lutter contre la désinformation

Joel Bofengo

Régine Okando et Dieubon Mughenze ont tous deux 26 ans et ce n’est pas leur seul point commun. Ils sont également journalistes. En juillet 2023, ils ont participé à une formation organisée par la section de l’information publique de la MONUSCO à Beni, portant sur la désinformation, tout comme une soixantaine de leurs confrères et consœurs.

Vérifier avant de diffuser

« Grâce à cette formation, je prends davantage de recul par rapport aux informations qui circulent sur les réseaux sociaux », explique aujourd’hui, Dieubon. « Cette session m’a permis de développer un sens de l’analyse qui me pousse à vérifier chaque information avant de la diffuser, à ne rien prendre pour argent comptant », renchérit Régine.

Du 10 au 12 juillet 2023, journalistes, membres des partis politiques et administrateurs des principaux groupes WhatsApp de Beni avaient pris part à cette formation sur la désinformation.  

Le responsable de l’information publique du bureau de la MONUSCO à Beni, Jean-Tobie Okala, avait insisté sur l’importance de « vérifier avant de diffuser ».  

Dieubon Mughenze a pris cette recommandation à cœur : « Il y a quelques jours, raconte-t-il, un cousin m’a écrit sur WhatsApp pour m’informer d’une attaque en cours des ADF à Mavivi, à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Beni. Quelques minutes après, j’ai lu la même information dans des groupes WhatsApp. J’ai été tenté de diffuser cette information sur mon site Internet mais je me suis rappelé la formation et le conseil du formateur. J’ai donc décidé d’appeler une autorité coutumière locale pour vérifier l’information. C’est ainsi que j’ai appris qu’il s’agissait en réalité d’un soldat ivre qui avait ouvert le feu, créant la panique parmi la population civile qui a pensé qu’il s’agissait d’une attaque des rebelles ADF ».

Depuis 2018, Dieubon travaille pour le site d’informations en ligne election-net.com. En tant qu’éditeur Web, il est souvent tenté d’aller aussi vite que possible dans la diffusion de l’information, parfois au détriment de la vérification des faits. « Les journalistes qui travaillent sur le Web sont un peu plus exposés que les autres à la désinformation. Nous voulons être les premiers. C’est cela qui pousse certains à sauter l’étape capitale de la vérification », analyse le jeune journaliste.

Depuis qu’il a suivi la formation sur la désinformation, il accepte volontiers de passer un peu plus de temps au téléphone pour vérifier des informations, quitte à manquer une exclusivité. « Je préfère ça plutôt que de paraître ridicule en diffusant une fausse information que j’aurais pu vérifier en faisant preuve d’un peu de patience », souligne-t-il.

« Je m’étais sentie très mal »

A la clôture de la formation de juillet dernier, le chef de bureau adjoint de la MONUSCO, Abdourahamane Ganda, avait souligné les « énormes dégâts sociaux et humains causés par désinformation ».

Régine Okando en sait quelque chose : « Le 24 septembre 2016, une forte pluie s’est abattue sur la ville de Beni. Sur les réseaux sociaux, il y avait des messages faisant état d’une attaque des rebelles ADF qui avaient profité de la pluie pour faire leur entrée. Au lieu de vérifier cette information, j’ai commencé à partager la nouvelle dans plusieurs groupes WhatsApp et cela a provoqué de graves incidents dans la ville. J’avais partagé l’information, en croyant que je prévenais un mal mais j’en causais un autre sans le savoir ».

Ce jour-là, aucune attaque armée n’avait eu lieu dans la ville. Cependant, une folle rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre. Sous une forte pluie, des milliers d’habitants avaient quitté la ville à pied pour chercher refuge à Mangina, située à 30 km plus loin. « Je m’étais sentie très mal », se souvient Régine. « Grâce à la formation que j’ai suivie à la MONUSCO, poursuit-elle, je suis maintenant capable de détecter une fausse information. Je ne partage plus sans vérifier la source ou sans consulter d’autres sources. »

Régine Okando est actuellement responsable de la rédaction de Radio Moto dans la cité d’Oicha, à une trentaine de kilomètres de la ville de Beni. Elle n’hésite plus à demander à un reporter de vérifier plusieurs fois une information avant de décider de la diffuser sur les ondes.

« En tant que journaliste, cette formation a vraiment été bénéfique pour moi parce que je ne savais pas ce que c’était la désinformation. Je diffusais des informations reçues sans forcément m’interroger sur la fiabilité de la source. Je pouvais prendre connaissance d’une information sur les réseaux et la relayer sans me poser beaucoup de questions. Depuis cette formation sur la désinformation, je suis capable de demander à un reporter d’appeler d’autres sources au téléphone pour vérifier si l’information qu’il a reçue est correcte », se réjouit-elle.

Régine et Dieubon sont unanimes. Tout le monde devrait être formé à la désinformation. Pour les deux journalistes, la lutte contre la désinformation exige aussi un travail de pédagogie auprès du public. « Avec l’intelligence artificielle, les deepfakes, il est de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux. C’est un grand risque pour des publics qui ne sont pas toujours initiés à ce genre de technologies », conclut Dieubon.