Beni : « Sans les patrouilles conjointes MONUSCO-FARDC-PNC, la situation serait catastrophique », confie Abdourahamane Ganda

Beni : « Sans les patrouilles conjointes MONUSCO-FARDC-PNC, la situation serait catastrophique », confie Abdourahamane Ganda. Photo MONUSCO/Alain Likota

6 jan 2021

Beni : « Sans les patrouilles conjointes MONUSCO-FARDC-PNC, la situation serait catastrophique », confie Abdourahamane Ganda

Alain Likota
INTERVIEW

Après que le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2556, prorogeant le mandat de la Mission de l’ONU en RDC jusqu’au 20 décembre 2021, plusieurs personnes à Beni, dans le Nord-Kivu, se disent sceptiques quant aux actions de la MONUSCO sous son précédent mandat, en particulier dans cette région. Interrogé par Radio Okapi le 31 décembre 2020, Abdourahamane Ganda, Chef de Bureau ad intérim de la MONUSCO Beni-Butembo-Lubero, estime pour sa part que sans les patrouilles conjointement menées par la Force de la MONUSCO, l’armée (FARDC) et la police nationale congolaise (PNC), la situation serait catastrophique. Il invite la population à bannir le sensationnel ainsi que tout ce qui porte atteinte au moral des troupes engagées sur le terrain.

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Radio Okapi : Le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté récemment une résolution qui prolonge d’une année encore le mandat de la MONUSCO, alors que plusieurs voix à BENI disent ne pas avoir vu vos actions sous la précédente résolution 2502. Qu’est-ce que la MONUSCO a fait dans la zone de BENI en général, surtout en termes de protection des civils ?  

Abdourahamane Ganda : La protection des civils est un élément de notre Mandat. On peut dire que c’est l’élément fondamental. Ce que nous faisons et ce que nous ne faisons pas, je pense que, aujourd’hui, c’est le côté caché de l’iceberg qui compte. Il y a une petite partie qui est visible, et c’est sur cette petite partie que les gens nous jugent. Prenons simplement le cas de la protection physique des civils. Prenons, par exemple, ce que nous faisons jour et nuit dans le territoire de BENI et la ville de BENI pour prévenir les massacres. Sans les patrouilles conjointes que nous faisons avec [les FARDC et la PNC] la situation serait catastrophique.

Quand nous évitons un drame, on n’en parle pas, parfois parce qu’on n’est pas au courant. Mais quand un drame survient, c’est là qu’on en parle. Je crois qu’il faut se poser la question : par semaine, combien de drames nous avons conjointement évités ? Comparativement à cela, on regarde ce qui est arrivé comme drame. On se rendra compte que la MONUSCO fait beaucoup.

Quand nous évitons un drame, on n’en parle pas, parfois parce qu’on n’est pas au courant. Mais quand un drame survient, c’est là qu’on en parle. Je crois qu’il faut se poser la question : par semaine, combien de drames nous avons conjointement évités ?

Radio Okapi : Pourtant, plusieurs personnes se posent la question sur l’exécution du Mandat de la MONUSCO, particulièrement concernant la Brigade d’Intervention, dans la neutralisation des groupes armés « avec ou sans » les FARDC.  Y a-t-il eu changement de leurs actions ou des avancées significatives sur ce plan ? Et quels sont les défis majeurs ?

Abdourahamane Ganda : Il y a des changements. Il y a des insuffisances, je le reconnais et je l’accepte humblement, mais il y a des changements positifs. Il y a des avancées. Maintenant, ces avancées rencontrent de la résistance significative sur le terrain. Qu’est-ce qui est en train de se passer dans le Rwenzori, à Mutwanga ? Nous sommes allés à Mutwanga pour installer une base importante pour prévenir ce qui est en train de se faire. Nous avons trouvé en face de nous une résistance farouche qui nous a empêché de travailler. C’est malheureusement une réalité. Mais malgré cela, nous y sommes.

Loselose était sous contrôle des ADF, mais sans notre intervention conjointe avec les FARDC, croyez-moi, ils ne seraient pas seulement à Loselose. Ça, c’est un exemple que je vous donne. Toute la zone de Kilia est une cible. N’eût été notre présence et le travail que nous faisons, aujourd’hui, ces zones-là seraient [prises]. Les gens sont aux portes de BENI, et vous le savez. Même les réseaux sociaux en parlent. Mais, selon vous, qu’est-ce qui les empêche de rentrer ? C’est parce qu’il y a un travail qui est fait. Je pense que ces quelques exemples sont éloquents.

Radio Okapi : Il y a plusieurs localités qui connaissent encore des kidnappings et des tueries des civils. Même au dernier mois de l’année 2020, des tueries ont été déplorées. La crainte semble s’installer davantage au sein de la population car les auteurs des tueries, de ces crimes ne semblent pas être dissuadés par la présence de la MONUSCO sur le terrain. Pourquoi cet état des choses ? Se sentent-ils confortables ?

Aujourd’hui, si vous voyez un ADF, vous ne pouvez pas le distinguer d’un paysan. Et ça, c’est une difficulté majeure. Cette guerre, elle est terroriste. Elle est asymétrique. Et n’importe quel spécialiste de la sécurité vous dira qu’une guerre asymétrique ne se gagne pas du jour au lendemain.

Abdourahamane Ganda : Prenons les choses une à une. Ce sont des actions terroristes. Le terrorisme, par définition, c’est de créer la crainte et la peur. C’est leur premier objectif. Malheureusement, ils y sont arrivés. Malheureusement, d’abord par leur mode opératoire, quand on voit la façon dont ils découpent les gens, ça fait peur ! On ne peut pas s’en empêcher… On ne peut pas en vouloir à quelqu’un d’avoir peur de ce qu’il a vu. Alors, nous travaillons pour les empêcher de progresser. Nous faisons de notre mieux. C’est insuffisant, nous ne pouvons pas être partout. C’est ça aussi le problème. Et nous, et les FARDC, nous ne pouvons pas être partout, mais là où nous sommes, je vous donne l’exemple du nord du territoire. Il y a quelques mois, ils y étaient ; ils opéraient. Nous sommes allés, nous avons dominé la zone et nous les y avons chassés, et c’est là qu’ils sont partis du côté de Rwenzori. Nous sommes en train d’y travailler encore mais sans aussi laisser le Nord que nous avons pacifié, sinon ils vont y retourner. Donc, ils ont une capacité de se déplacer, et ils se déplacent plus facilement que nous : ils se déplacent à pied et en petits groupes. Ils se fondent dans la population. Aujourd’hui, si vous voyez un ADF, vous ne pouvez pas le distinguer d’un paysan. Et ça, c’est une difficulté majeure. Cette guerre, elle est terroriste. Elle est asymétrique. Et n’importe quel spécialiste de la sécurité vous dira qu’une guerre asymétrique ne se gagne pas du jour au lendemain. 

Radio Okapi : Certains habitants pensent que certains fonds que vous allouez à des projets tels que la construction ou la réparation des ponts, l’éclairage des tronçons routiers, etc. sont un gaspillage d’argent et qu’il faudrait plutôt affecter cela, par exemple, à une motivation des troupes FARDC engagées au front. En quoi ce type de projets est-il utile, en rapport avec le mandat de la MONUSCO ?

Abdourahamane Ganda : Déjà, ne faisons pas d’amalgame. La MONUSCO n’est pas ici pour financer les FARDC. Elle n’est pas ici pour payer des primes, ne serait-ce que des primes de motivation, aux soldats FARDC. Non. Maintenant, par rapport aux ponts, il y a des choses qui sont indispensables. La route, les ponts sont indispensables à la sécurisation. Par endroits, on nous reproche la lenteur de nos interventions. Mais justement, parce que, quand on vient, il y a une rivière. On ne peut pas la traverser en une minute. Alors, il faut faire un pont, non seulement, en premier lieu, pour permettre l’accessibilité de la zone à nos troupes, [mais] en second lieu pour bénéficier aux populations. S’il n’y a pas ces routes, comment voulez-vous qu’on accède aux villages reculés ? S’il n’y a pas la lumière, comment voulez-vous que, dans une agglomération… Je pense que, même vous, chez vous, la lumière, vous la laissez allumée la nuit dehors pour sécuriser votre maison ! Nous avons donc besoin de cet éclairage pour dissuader les personnes de mauvaise foi. C’est donc une contribution majeure à la protection des civils. Ce n’est pas un gaspillage d’argent. 

Radio Okapi : D’une part, vous continuez à travailler avec les autorités civiles et militaires, vos partenaires institutionnels ici à Beni, à Butembo, à Lubero, partout, et d’autre part, vous avez quand même aussi des contacts avec des mouvements citoyens et autres groupes similaires. Vous êtes soutenus par les uns, mais pas par les autres. Comment sont vos relations avec ces différents acteurs dans cette région et qu’est-ce qui, selon vous, justifie les différentes prises de position ?  

Abdourahamane Ganda : Je pense que Dieu lui-même ne fait pas l’unanimité. Avec nos partenaires étatiques, notre collaboration est parfaite. C’est une relation de confiance. Les FARDC, comme la PNC et les représentants de l’Etat, dont le maire et les AT [Administrateurs de Territoire ; ndlr], ils l’ont dit, à plusieurs occasions, ce que la MONUSCO fait de bien. Les représentants de la société civile, certains le pensent, d’autres ne le pensent pas. Mais la vérité est que la majorité comprend ce que nous faisons. Cette minorité qui ne comprend pas ce que nous faisons, je leur ai proposé de venir chercher l’information à notre niveau. Nous avons une politique de portes ouvertes. Ils peuvent même participer à nos patrouilles pour voir ce que nous faisons. Il ne faut pas se contenter des éléments trouvés dans les réseaux sociaux. Il ne faut pas se contenter de dire : « j’ai entendu que… » Non. Si vous avez entendu que… Si vous êtes un leader, avant de le dire, venez vérifier chez nous.

Les éléments qui portent atteinte au moral de nos troupes et des FARDC, nous devons les bannir. Nous avons besoin du soutien de la population. Pas de mots qui nous découragent ou qui portent entrave à notre action.

Radio Okapi : Il y a des personnes qui pointent du doigt la MONUSCO et certains officiers FARDC dans la persistance de l’insécurité à Beni. Que répondez-vous à cela ? 

Abdourahamane Ganda : Ce n’est pas vrai. Nous sommes ici, la MONUSCO est ici pour lutter contre l’insécurité, et nous ne faisons que cela. Le sensationnel, on doit le bannir. Les éléments qui portent atteinte au moral de nos troupes et des FARDC, nous devons les bannir. Nous avons besoin du soutien de la population. Pas de mots qui nous découragent ou qui portent entrave à notre action. La MONUSCO n’est pas là pour soutenir l’ennemi, qui est l’ADF. La MONUSCO n’est pas ici pour entretenir l’insécurité. Nous ne travaillons que pour ramener la sécurité et la protection des civils.

Radio Okapi : Depuis le mois de décembre, la MONUSCO fonctionne sous une nouvelle Résolution, la Résolution 2556, jusqu’à la fin de l’année 2021. Les nombreux cris de la population, les pressions sur la MONUSCO par rapport aux actions attendues à BENI trouveront-ils un écho, notamment pour neutraliser, sinon réduire sensiblement la capacité de nuisance des groupes armés, notamment les ADF? 

Abdourahamane Ganda: Les cris des paysans, les cris de la population vulnérable, je les comprends. La nouvelle Résolution nous encourage et nous donne les capacités de faire mieux. Nous allons faire mieux. Mais pour faire mieux, nous avons besoin du soutien de la population. Nous avons besoin du soutien de la population. Je le répète. Nous avons besoin de créer de nouvelles bases. Il faut qu’on nous facilite les conditions de créer ces bases. Nous ne pouvons pas protéger une zone où nous n’y sommes pas. Nous ne pouvons pas protéger une zone où on nous empêche de nous déplacer. Nous ne sommes pas là pour l’insécurité. Nous ne sommes ennemis de personne. Nous sommes le partenaire de l’Etat congolais. Nous sommes là pour la population, pas pour quelqu’un d’autre.

Radio Okapi : Quel message pour à la population de BENI, mais aussi pour les auditeurs de Radio Okapi dans d’autres régions qui s’intéressent à la situation de BENI ?

Abdourahamane Ganda : Mon premier mot, je dirais d’abord merci, parce qu’il y a une grande majorité de la population qui nous soutient. Je dis merci à celle-là. Ceux qui ne nous soutiennent pas, malgré le ressentiment, nous les comprenons. Nous leur demandons d’accepter notre main tendue pour travailler avec nous. Nous leur demandons d’accepter notre politique de porte ouverte pour venir chercher l’information à la source. Nous leur demandons de nous soutenir dans nos actions pour pacifier la zone. Et ça, c’est un cri que je lance aux gens. C’est un cri d’alarme de notre côté aussi. De la même façon que la population lance des cris d’alarme, nous lançons un cri d’alarme pour dire que nous avons besoin de la population, de la société civile, de toutes les communautés, pour travailler ensemble. Nous ne pouvons gagner la guerre que dans un mariage à trois : l’Etat congolais, les communautés et la MONUSCO. Sans cela, il serait difficile de combattre l’ennemi.