Interview - Chef de Bureau de la MONUSCO à Bukavu : « La paix n’a pas de prix ! »

6 juin 2011

Interview - Chef de Bureau de la MONUSCO à Bukavu : « La paix n’a pas de prix ! »

Bukavu, 01 juin 2011 - Commémorée tous les 29 mai depuis 2002, la Journée internationale des Casques bleus a été instituée par l'Assemblée générale des Nations Unies pour rendre hommage à tous les hommes et à toutes les femmes qui ont servi et qui continuent de servir dans les Opérations de Maintien de la Paix des Nations Unies, et pour honorer la mémoire de ceux et celles qui ont payé de leur vie la noble cause de la paix.

C'est à cette occasion que le chef du Bureau de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) au Sud-Kivu, Aliou Sene, a expliqué aux journalistes de la province du Sud Kivu le cadre de travail d'un Casque bleu, et le bien fondé des Opérations de Maintien de la Paix.

Journaliste: M. le Chef de Bureau, nous avons toujours vu les véhicules de la MONUSCO. Pouvez-vous nous dire ce qui définit le Casque bleu ?

Aliou Sene : Laissez-moi d'abord vous dire tout mon plaisir de vous recevoir au quartier général de la MONUSCO et de discuter avec vous à l'occasion de la Journée Internationale des Casques bleus. Qui est Casque bleu ? Dans l'opinion générale, on pense que le Casque bleu, c'est le militaire qui est sous le drapeau des Nations Unies. En réalité, la définition de Casque bleu va au-delà du personnel militaire ; elle inclut également le personnel policier et le personnel civil qui, tous les deux, servent sous le drapeau des Nations Unies dans le cadre des Opérations de Maintien de la Paix. Et c'est à tout ce personnel-là que la journée du 29 mai est dédiée pour commémorer d'abord la mémoire de ceux qui sont tombés au service de la paix et sous le drapeau des Nations Unies -- et ils sont nombreux -- mais également pour rendre hommage à ceux-là qui servent les Nations Unies et la cause de la paix partout dans le monde.

Journaliste : En République démocratique du Congo, peut-on dire que ces Opérations de Maintien de la Paix sont essentielles ?

Aliou Sene: Je crois que le débat a été lancé récemment au sujet de la présence, de l'avenir de la MONUSCO, au Congo et il y a eu des opinions divergentes. Certains disent que, maintenant, il est temps pour le Congo de voler de ses propres ailes ; et d'autres disent que non, que le Congo a encore besoin d'être accompagné. Est-ce que cette Opération de Maintien de la Paix est essentielle au Congo ? C'est sûr que, dans le passé, c'était essentiel, parce que c'est grâce aux accords qui ont été signés entre les belligérants que le Congo a retrouvé l'unité. Donc, je pense que le rôle qu'a joué l'Opération de Maintien de la Paix au Congo dans le domaine de la réunification du pays et de la pacification de différentes localités du pays est essentiel. Et ce qu'il faut noter c'est que, même si on a fait des progrès énormes au cours des dix dernières années, il y a encore du travail à parachever. Dans certaines parties du pays, les institutions sont encore très faibles et ont encore besoin des Nations Unies pour se consolider, et la paix également doit être parachevée dans ces localités, comme par exemple l'Est du Congo.

Journaliste : Combien coûte cette Opération, si nous restons toujours dans le cadre de l'Opération de Maintien de la Paix ? Et qui paie ?

Aliou Sene: Il faut dire que la MONUSCO est l'une des plus grandes Opérations de Maintien de la Paix que les Nations Unies aient jamais mises sur pied, et le budget de la MONUSCO fait plus d'un milliard. C'est un des plus grands budgets également d'une Opération de Maintien de la Paix, et cela a fait [l'objet de] beaucoup de commentaires. La paix n'a pas de prix. Si on voit les cinq millions de congolais qui ont péri au cours des dix dernières années depuis que la guerre a commencé ici, il n'y a pas de prix à une opération qui peut faire revenir la paix et sauver la vie des congolais. Et en général, les Opérations de Maintien de la Paix ont un budget relativement modeste. Si vous faites la comparaison avec les budgets militaires de grands pays, ça n'a aucune commune mesure. Prenez par exemple le budget des 15 opérations des Nations Unies pour l'année 2010-2011, qui compte à peu près 7.5 milliards. Comparez-le au budget de la police de New York, cela fait un quart ou un cinquième du budget de la police de New York. C'est vous dire, en terme relatif, que les Opérations de Maintien de la Paix sont des opérations qui ne coûtent pas très cher mais qui ont un effet extrêmement positif dans la vie des personnes, des pays dans lesquels elles sont déployées.

Journaliste : M. le Chef de Bureau, quels sont les problèmes actuels qui entravent la réussite des Opérations de Maintien de la Paix ?

Aliou Sene: J'allais dire, quels sont les défis auxquels les Opérations de Maintien de la Paix sont confrontées ? Les défis sont très, très nombreux. Il y a d'abord le fait qu'il y a des demandes très élevées d'Opérations de Maintien de la Paix auxquelles les Nations Unies ne peuvent toujours pas faire face... Des conflits un peu partout dans le monde. Pour tout cela, les Nations Unies sont sollicitées pour déployer des Opérations de Maintien de la Paix et elles sont confrontées à des problèmes de ressources parce que tous les pays du monde sont confrontés à la crise économique et financière. Et donc, ça se traduit par des contributions beaucoup plus réduites. Et ça demande beaucoup de personnel. Pour déployer des soldats, il faut beaucoup de moyens. Donc du point de vue satisfaction de la demande, c'est un grand défi auquel les Nations Unies sont confrontées. Du point de vue budgétaire également, c'est un problème. Et les Nations Unies sont confrontées également, pour déployer les Opérations de Maintien de la Paix, à des problèmes de divergence politique parfois de ses membres. N'oubliez pas, les Nations Unies sont composées de 192 pays et parfois ils ne tirent pas toujours dans la même direction.

Journaliste : Une dernière question : comment évolue le maintien de la paix à travers le monde ?

Aliou Sene: Il faut dire que les Opérations de Maintien de la Paix ont connu une évolution très importante au cours des 20 dernières années. Il y avait la forme classique d'Opération de Maintien de la Paix dont l'objectif se limitait à maintenir un cessez-le-feu pendant que les parties trouvent un accord définitif. Ensuite, elles ont évolué vers l'organisation d'élections après le cessez-le-feu. Et après l'organisation d'élections, les Nations Unies se sont également lancées dans la stabilisation des pays post-conflits, comme c'est le cas actuellement au Congo. Après les élections de 2006, les Nations Unies ont revu leur mandat et le dernier mandat met l'accent sur la stabilisation du Congo. Cette stabilisation se traduit par des actions sécuritaires : aider le pays à avoir une armée professionnelle, une police professionnelle, bien équipées, capables de maintenir la paix à l'intérieur et dans les frontières.

Ensuite, créer des opportunités économiques qui permettent aux groupes armés, en particulier aux jeunes de pouvoir avoir des opportunités économiques et de préférer le travail constructif à la prise des armes et au retour dans les groupes armés. C'est à ce dernier aspect que répond le plan de stabilisation des Nations Unies qui vient en soutien [au] programme gouvernemental STAREC (Stabilisation et Reconstruction), qui se traduit par la réhabilitation d'un certain nombre d'axes routiers et la construction d'infrastructures à la fois socio-économiques le long de ces axes routiers. Ici au Sud-Kivu, nous avons les axes Miti-Hombo, l'axe Walungu-Burhale-Shabunda et l'axe Sud-Sud, qui est Baraka-Fizi-Minembwe. Et pour la première fois depuis 1996, la route de Burhale-Shabunda a été ouverte au trafic. Pour le moment, c'est pour le trafic des véhicules légers, mais nous espérons que, dans peut-être trois mois, il y aura possibilité de réhabiliter totalement cette route-là et de pouvoir y pratiquer le trafic. Ce qui va désenclaver le [territoire] de Shabunda. Ca, c'est un aspect nouveau de l'évolution qu'ont connu les Opérations de Maintien de la Paix. Avant, les Opérations de Maintien de la Paix ne s'occupaient pas d'activités économiques, mais maintenant, pour aider le pays à aller de la phase humanitaire à la phase de développement, les Nations Unies ont conçu ce programme de stabilisation économique, qui crée des opportunités pour les populations locales et particulièrement pour les jeunes.

(Interview réalisée par la Radio et Télévision de la RDC (RTNC), la Radio et Télévision des Grands Lacs (RTVGL), et Vision Shala TV).