Nord et Sud Kivu: Des journalistes formés pour médiatiser les procès de violences sexuelles

15 sep 2010

Nord et Sud Kivu: Des journalistes formés pour médiatiser les procès de violences sexuelles

Kinshasa, 16 septembre 2010 - Le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l'Homme (BCNUDH), avec la participation de l'ONG canadienne "Journalistes pour les Droits Humains", a organisé du 30 août au 10 septembre deux formations, une à Bukavu et l'autre à Goma, à l'intention de 60 journalistes et responsables des médias des deux provinces sur la couverture des procès de violences sexuelles. Cette formation avait comme principaux objectifs de rendre le système judiciaire plus compréhensible et plus proche à ces journalistes.

« C'est la première formation de ce type à laquelle nous assistons, et c'est parmi les rares formations que nous avons eues sur les droits humains à Bukavu » a expliqué Prince Morola, journaliste à la Radio Maria de Bukavu. « De pareilles formations aident la presse à se perfectionner et à traiter avec professionnalisme des sujets qui sont souvent délicats ». John Zyombo, journaliste à la Radio Star de Bukavu a expliqué, quant à lui, que désormais, il était « à même de découvrir certaines situations irrégulières, et de les dénoncer de manière professionnelle ».

« Nous avons appris en agissant »

Pendant quatre jours dans chacune des villes, les journalistes ont pu approfondir leurs connaissances sur les Lois de 2006 sur les violences sexuelles grâce à l'intervention des autorités judiciaires qui ont dispensé certains cours sur le fonctionnement de la justice congolaise.

« Nous sommes des journalistes généralistes pour la plupart », a raconté Gabriel Lukeka, de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) de Goma. « Un journaliste doit avoir une compréhension totale de tous les mots qu'il utilise surtout dans le domaine judiciaire qui est un domaine délicat. Nous sommes dans une région où il y a beaucoup de violences sexuelles dues aux conflits. Il était donc nécessaire pour nous d'appréhender ces thèmes ».

Une des activités centrales de la formation était de permettre aux journalistes d'utiliser les connaissances théoriques acquises en début de formation en couvrant des procès: « Ce qui m'a intéressé dans cette formation, c'est de lier la pratique à la théorie. Nous avons appris en agissant » a ajouté Gabriel Lukeka. La grande majorité d'entre eux assistaient en effet pour la première fois à un procès.

Cet exercice a également permis aux journalistes de mesurer les difficultés de la justice congolaises. « Initialement les journalistes devaient se rendre au Tribunal de grande instance (TGI) de Bukavu, mais faute de moyens pour transporter les prévenus, le TGI a siégé à la prison centrale » a noté Pascaline Zamuda, chargée de production des émissions sur les violences sexuelles et basées sur le genre à l'Association des femmes pour les medias, AFEM/Sud-Kivu.

Au Tribunal Militaire de Garnison (TMG) de Goma, Gabriel Lukeka a, lui aussi, constaté le manque de moyens de la justice militaire: « Le lieu n'est pas indiqué pour un procès. La salle d'audience ressemble à un hangar, presque à ciel ouvert, à la merci du bruit, des vrombissements des véhicules. Les passants voient les gens de la salle d'audience. Les gens de la salle d'audience sont distraits par les passants. Les voix des magistrats, des avocats et des prévenus étaient inaudibles ».

A Bukavu, Prince Morola, journaliste et défenseur judiciaire, a eu une surprise lors de sa visite au TGI. Un prévenu risquant 20 ans de prison pour viol sur mineure n'était pas représenté, faute de moyens: « Il s'est avéré que le prévenu n'avait pas de conseil, j'ai donc été commis pour l'assister. Je suis là en tant que journaliste, et je suis commis pour assister les prévenus en tant que défenseur judiciaire ». Le jugement a été reporté pour permettre au défenseur de s'imprégner du dossier. « Si je n'étais pas venu aujourd'hui, le tribunal aurait très certainement regardé ailleurs » a-t-il conclu.

« Nous pouvons transmettre l'information pour que les choses bougent »

Pour Pascaline Zamuda, assister à un procès au TGI lui a permis d'observer d'autres difficultés de la justice dues, non pas à la mauvaise volonté des juges comme elle le pensait, mais au manque de connaissances des victimes sur les aspects procéduraux. En tant que chargée de la production d'émissions, elle peut contribuer à informer les victimes.

« On a vu une maman à qui on a demandé, lors de la séance précédente, d'amener des pièces justificatives pour prouver que la fille était mineure. Mais encore aujourd'hui, elle est venue sans ces pièces. Le cas a été reporté » a expliqué Pascaline. « En tant que journaliste, je peux faire une émission pour faire comprendre à la communauté et à nos cibles: qui sont les victimes des violences sexuelles, qu'il faut respecter les procédures afin que les condamnations soient prononcées plus rapidement et exécutées ».

Prince Morola reconnait que « les journalistes ont un rôle important à jouer dans la lutte contre l'impunité. Le journaliste parle à beaucoup de monde. Nous avons le pouvoir de changer les choses. Nous pouvons transmettre l'information pour que les choses bougent ».

En République démocratique du Congo, et plus particulièrement dans les Kivu, les conflits armés successifs ont été l'une des causes des violences sexuelles, et parfois des viols collectifs. Malgré l'adoption en 2006 de nouvelles lois réprimant sévèrement toutes violences sexuelles, les auteurs de ces actes ne sont pas toujours punis et les situations d'impunité perdurent.

C'est donc pour lutter contre l'impunité des violences sexuelles que cette formation des journalistes a été réalisée. Ces activités s'inscrivent dans le Programme conjoint de lutte contre l'impunité des violences sexuelles, financé par l'Agence Canadienne pour le Développement International (ACDI).