Interview du chef de la section DDR/RR de la MONUSCO

3 juin 2011

Interview du chef de la section DDR/RR de la MONUSCO


Goma, 30 mai 2011
- La Section Désarmement, Démobilisation, Rapatriement, Réintégration et Réinstallation (DDR / RR) de la MONUSCO est chargée de rapatrier tous les combattants étrangers se trouvant en RDC, ainsi que d'aider le gouvernement à démobiliser les combattants congolais. Voici ci-dessous une interview exclusive d'Alex Gregory, directeur de la section DDR / RR.

1. Quels sont les dispositifs opérationnels mis en place par la section DDR / RR?

La section DDR / RR compte environ 160 membres, dont la plupart sont des Congolais. Elle a son siège national basé à Goma, mais dispose d'équipes dans ses sites provinciaux situés à Kalemie (Katanga), à Bukavu (Sud Kivu), à Goma (Nord Kivu), et à Dungu (Province Orientale). Chacun des sites provinciaux est chargé de déployer et maintenir sur le terrain des équipes dans des sites situés dans les zones proches des endroits où opèrent les combattants. Ces sites sont presque toujours co-localisés avec les contingents militaires de la MONUSCO qui assurent la sécurité des équipes DDR / RR et celle des ex-combattants désireux d'être démobilisés. À tout moment, la section DDR / RR gère simultanément 25 sites sur le terrain.

La section DDR / RR utilise différentes méthodes de sensibilisation pour convaincre les combattants de retourner dans leur pays d'origine. La première méthode c'est l'emploi d'émissions radio diffusées au moyen de 14 stations radio FM mobiles déployées au niveau de nos sites sur le terrain. Ces radios transmettent des messages émanant des ex-combattants, des membres de leurs familles et des autorités locales, et incitant d'autres combattants à quitter la forêt et à retourner à la vie civile. Ces messages sont également diffusés sur Radio Okapi.

La section DDR / RR conçoit des dépliants contenant des messages émanant d'anciens combattants ainsi que des informations détaillées sur les processus de rapatriement et de démobilisation. Cela permet au combattant d'être mieux informé sur ce qui l'attend, et l'invite à prendre une décision éclairée concernant la prochaine étape de sa vie. Ces dépliants sont distribués soit manuellement, soit largués par hélicoptère. Cette dernière méthode permet à la campagne DDR / RR d'atteindre des zones inaccessibles par voie routière.

La troisième façon de sensibiliser les combattants est de sensibiliser les communautés où ils vivent. Travailler avec les communautés locales demande du temps, mais se révèle payant sur le long terme. En matière de DDDR / RR, la voix qui livre le message est souvent aussi importante que le message lui-même. C'est la raison pour laquelle nous essayons d'amener les communautés à participer autant que possible à l'effort de convaincre les combattants de regagner la vie civile.

Enfin, la section DDR / RR mène également des négociations directes avec les combattants. Les équipes DDR / RR se sont spécialisées à développer des relations avec les combattants lorsque ceux-ci sont encore actifs. Les combattants ont souvent des préoccupations légitimes concernant leur sécurité, le sort de leurs familles et leurs futurs moyens d'existence. Ces négociations sont menées pour répondre à ces préoccupations individuelles afin de convaincre les combattants de sortir de la forêt.

2. Pouvez-vous expliquer la situation des groupes armés étrangers et congolais en RD Congo?

Oui - Il existe quatre principaux groupes armés étrangers opérant en République démocratique du Congo. Il y a d'abord les FDLR qui forment un groupe constitué d'anciens membres de l'armée et du gouvernement rwandais, mais aussi de réfugiés rwandais, tous arrivés en RDC en 1994 après le génocide au Rwanda. Les FDLR représentent le plus grand groupe, dont l'effectif est estimé entre 2.000 et 2.500 combattants. Ces éléments sont présents dans les Kivu et dans certaines parties de la province du Katanga. Il y a ensuite les Forces démocratiques alliées (ADF, Allied Democratic Forces). C'est un groupe originaire d'Ouganda dont l'entrée en RDC date de la fin des années 1990. Il est d'obédience islamiste et cherche à instaurer la charia en Ouganda. Ce groupe s'entoure de beaucoup de mystère mais nous estimons que ses forces se situent entre 500 et 800 combattants. Il opère dans la chaine de montagnes du Rwenzori, le long de la frontière avec l'Ouganda, à l'est du territoire congolais de Beni. Le troisième groupe est l'Armée de Résistance du Seigneur (LRA, Lord's Resistance Army). Ce groupe rebelle ougandais existe depuis plus de 20 ans, mais n'est entré en RDC qu'en 2005. La LRA est un groupe particulièrement violent qui a infligé des souffrances considérables aux civils dans ses zones d'opération. En RDC, la LRA est présente dans les territoires d'Uélé, en Province Orientale ; mais ses éléments opèrent également dans l'est de la République centrafricaine et au Sud-Soudan. L'éloignement des ses bases fait que ce groupe soit particulièrement difficile à sensibiliser. Enfin, il y a un groupe rebelle burundais appelé Forces nationales de Libération (FNL), qui a récemment relancé ses activités dans le Sud-Kivu. Les FNL qui, naguère, étaient intégrées dans le gouvernement et l'armée burundais, ont toutefois repris leurs activités après les élections burundaises de 2010.

Les combattants congolais, eux, sont membres de différentes milices, allant de groupes d'autodéfense à des groupes de bandits qui opèrent pour la plupart dans les Kivu. Il est important de comprendre que le DDR / RR ne fait qu'aider le gouvernement congolais à démobiliser les combattants congolais dont on estime qu'il reste environ 4 000 éléments dans les Kivu, 1000 d'entre eux étant membres des groupes armés étrangers tels que les FDLR or l'ADF.

3. Quels sont les succès à l'actif de la section DDR / RR en matière de rapatriement des groupes armés étrangers se trouvant en RDC ?

Depuis 2002, la section DDR / RR a rapatrié plus de 24.000 ex-combattants étrangers et membres de leurs familles dans leur pays d'origine. Le nombre de rapatriements a été presque trois fois plus élevé depuis le lancement des opérations militaires conjointes dans les Kivus, en 2009. Avant 2009, la section DDR / RR rapatriait en moyenne 50 combattants étrangers par mois ; aujourd'hui la moyenne mensuelle est d'environ 140. A ce chiffre s'ajoute un nombre presque égal de membres de leurs familles. La grande majorité des rapatriés est constituée de Rwandais membres des FDLR, mais il y en a également qui sont issus d'autres groupes armés étrangers, ainsi que des personnes étrangères qui étaient intégrées au sein des FARDC.

La section DDR / RR a également aidé le gouvernement à démobiliser des milliers de combattants congolais. Le processus de DDR a connu différentes étapes au fil des ans. Aujourd'hui, alors qu'on ne compte plus que 4.000 combattants congolais résiduels, la section DDR / RR travaille avec le gouvernement pour mettre en place un processus approprié pour les combattants restants. Actuellement, le programme DDR / RR prend en charge environ 100 combattants congolais par mois, la plupart d'entre eux dans le Nord-Kivu.

Depuis mon arrivée il y a presque deux ans, il y a eu une amélioration générale de la situation et une réduction du nombre total de combattants illégaux en RDC. Le taux de rapatriement a aussi augmenté non seulement en nombre mais aussi du point de vue du grade de ceux qui se rendent. Rien qu'en 2011, la section DDR / RR a rapatrié quelque 20 officiers FDLR, dont trois colonels et cinq majors. Au rythme actuel des défections, les FDLR auront plus de mal à continuer d'exister qu'il y a un ou deux ans.

La section DDR / RR a également favorisé les poursuites judiciaires engagées à l'encontre des dirigeants des FDLR. Grâce à l'assistance apportée aux autorités allemandes et à la Cour pénale internationale, les trois plus hauts dirigeants des FDLR ont été arrêtés et sont en train d'être jugés en Europe. Leur arrestation a eu un impact significatif sur le moral, la structure de commandement et le contrôle des FDLR, et elle contribue à susciter des défections incessantes au sein du groupe.

La section DDR / RR aide également les FARDC à former leurs officiers, notamment sur la façon de traiter les ex-combattants nationaux et étrangers, mais aussi sur les questions sexospécifiques et les droits de l'homme.

En réduisant le nombre de combattants illégaux dans les Kivu, la section DDR / RR contribue à la restauration de la sécurité et à la création d'un environnement où le gouvernement peut reprendre le contrôle de son territoire. Ces deux éléments sont essentiels à la stabilisation du pays.

4. Quels sont les principaux défis auxquels fait face la section DDR / RR?

La section DDR / RR a accompli ces succès en dépit de nombreux défis. Le premier défi est lié aux combattants eux-mêmes et à l'organisation qui tente de les empêcher de se rendre. Toutes les milices utilisent de la propagande pour créer la peur et la méfiance dans l'esprit des combattants afin de les empêcher de partir. Ainsi, convaincre le combattant est une tache difficile. En outre, les milices créent des barrières physiques en punissant ceux qui tentent de faire défection, et parfois cette punition n'est autre que la mort.

Il y a également des défis sécuritaires pour le personnel de DDR / RR. Nous représentons une menace significative pour l'existence de ces milices et, par conséquent, notre relation avec eux n'est pas toujours amicale. Tenez, au cours de l'année en cours, un de nos sensibilisateurs a été enlevé et quelques-uns de nos membres ont été victimes d'une embuscade ; heureusement tout cela s'est soldé sans blessures physiques. Néanmoins, le risque est là puisque la section DDRRR opère sur la ligne de front.

En outre, les groupes armés étrangers auxquels nous avons affaire se trouvent dans des zones reculées et ceux qui volontairement choisissent de se rendre au DDR / RR s'exposent à des menaces sécuritaires et à une punition de la part de leurs dirigeants. C'est là l'un des domaines où le DDR / RR doit relever d'importants défis logistiques. Les combattants désireux de quitter pour venir à nous doivent être rapidement retirés de leur groupe. Leur extraction est rendue possible avec l'appui de la MONUSCO, qui, en dépit de ses énormes contraintes opérationnelles et ses moyens de transport et forces de sécurité limités, répond positivement à l'appel du DDR / RR.

5. Pensez-vous qu'elle fonctionne, votre stratégie actuelle concernant les groupes armés étrangers ? Si non, quelles nouvelles mesures envisagez-vous de mettre en place?

Je pense que la stratégie actuelle concernant les groupes armés étrangers fonctionne encore, mais nous devons faire mieux, nous adapter plus rapidement et plus efficacement. En élargissant notre réseau de sensibilisation et le cercle de nos partenaires, nous pouvons améliorer la livraison de nos messages de sensibilisation et notre capacité à contacter directement ces groupes armés sur le terrain. Je pense que le succès de notre stratégie est évident lorsqu'on considère le nombre mais aussi le grade de ceux qui se rendent à la MONUSCO et de plus en plus aux FARDC. Toutefois, le fait que des combattants illégaux infligent encore peines et souffrances aux populations congolaises signifie que nous avons encore beaucoup de travail à faire.