Mame Rokhaya Lo : « Je voudrais être une source d’inspiration pour les femmes ituriennes »

Mame Rokhaya Lo prend son travail au sérieux car, pour elle, la paix est la chose la plus précieuse qui puisse exister. Photos MONUSCO / SENFPU Bunia

9 mar 2022

Mame Rokhaya Lo : « Je voudrais être une source d’inspiration pour les femmes ituriennes »

Jean-Tobie Okala

Les femmes soldats de la paix défient un paysage traditionnellement masculin du maintien de la paix et servent de modèles aux femmes et aux filles pour défendre leurs propres droits et suivre des voies non traditionnelles. A l’occasion du « mois de la femme » en République démocratique du Congo (RDC), rencontre avec Mame Rokhaya Lo, cheffe d’escadron et première femme à diriger l’Unité de Police Constituée du Sénégal (SENFPU) au sein de la MONUSCO à Bunia, en Ituri.

Du haut de son mètre 87, elle impressionne ses visiteurs et même les hommes qu’elle commande au sein de l’Unité de Police Constituée du Sénégal (SENFPU) déployée à Bunia, au sein de la MONUSCO. Il y a onze ans, cette Sénégalaise fraîchement émoulue de l’université de Dakar où elle venait de décrocher son Master 2 en commerce et management des affaires internationales, entrait à l’école de gendarmerie. Depuis, elle a aussi obtenu un Master 2 en genre et consolidation de la paix. 

« Je me suis dit que je pouvais servir mon pays en optant pour la gendarmerie. Même si ce n’était pas un rêve d’enfant, mais j’avais toujours admiré le travail de la gendarmerie », affirme-t-elle. Celle qui en est à sa première Mission de maintien de la paix des Nations Unies dirige une équipe de 135 éléments, dont 21 femmes. 

Mame Rokhaya Lo prend son travail au sérieux car, pour elle, la paix est la chose la plus précieuse qui puisse exister. Ses journées se ressemblent, mais n’allez pas lui dire que c’est de la routine. 

« Le maintien de la paix demande une attention 24/7. Tout peut changer à tout moment, je dois m’assurer que mon unité est prête en permanence. Ma journée de travail-type consiste à gérer et diriger le déploiement de mon unité et à assumer la responsabilité du commandement, du contrôle et de la discipline de l’unité. Pour ce faire, je participe personnellement aux patrouilles de jour comme de nuit et aux différentes sensibilisations sur l’exploitation et les abus sexuels (SEA) et je veille à l’exécution des missions quotidiennes ».

La SENFPU est en Ituri depuis trois ans. Auparavant, elle était déployée à Goma. Mame Rokhaya Lo est sa troisième commandante et la première femme à servir cette Unité de Police Constituée sénégalaise à Bunia.

« Pour les hommes qui sont sous mon commandement, nous nous respectons mutuellement et ils remplissent les missions que je leur confie sans souci. Pour les hommes que je côtoie dans le cadre de mon service, nous entretenons de bonnes relations. Même si c’est une première pour une femme de commander une force de police constituée à Bunia, on se respecte et on travaille en étroite collaboration. Parfois, je sens un regard un peu interrogateur, mais c’est peut-être dû au fait qu’il n’y avait jamais eu de femme à la tête d’une FPU dans le secteur. Finalement, je constate qu’ils m’encouragent et me respectent », raconte-t-elle. 

Être une source d’inspiration pour les autres  

Depuis son arrivée à Bunia il y a presque trois mois, la Sénégalaise se dit particulièrement touchée par la situation des femmes et des enfants. 
« En tant que femme je suis très sensible à la condition des gens que je côtoie, surtout les femmes et les enfants. Je me veux à ce sujet être un modèle inégalable dont mon personnel pourra s’inspirer, afin de mener à bien les missions dévolues à la FPU, dans l’ultime intérêt de l’organisation et conformément au mandat de la Monusco », assure-t-elle. 

Mame Rokhaya Lo a été notamment marquée par la situation des personnes déplacées, réunies dans des camps en Ituri. « Les conditions de vie des femmes et des enfants vivant dans ces lieux appellent à de plus amples réflexions. Je reste convaincue que quelque chose de plus peut être fait. Cela peut impliquer déjà le fait de revoir le style des patrouilles de mes éléments au sein de ces camps, d’être plus proches de ces gens avec tout le professionnalisme qui sied ».  

Pour sa première mission en RDC, l’humanisme reste le maître-mot, selon elle. « D’abord les patrouilles sont effectuées en tenant compte de la population, en étant plus proche d’elles, tout en gardant notre professionnalisme. Deuxièmement, même si notre rôle premier n’est pas le volet social, je voudrais malgré tout appuyer autant que possible les femmes par des formations et des sensibilisations. Et au-delà, des visites au niveau des camps de déplacés et de la prison pour les appuyer en eau et en denrées alimentaires ». 

Pour l’autonomisation des femmes 

En ce mois de mars dédié à la promotion des droits des femmes, Mame Rokhaya Lo ne manque pas d’idées et d’ambitions. Très touchée par la condition des milliers de femmes et jeunes filles qui ont fui les atrocités des groupes armés dans leurs milieux pour trouver refuge à travers la province et à Bunia, elle nourrit quelques petits projets à caractère purement humain et social. « J’ai constaté que les femmes d’ici sont très courageuses et essaient d’être autonomes, même si toutes les conditions ne sont pas réunies et qu’elles sont confrontées à plusieurs difficultés. C’est pourquoi je me suis dit que, même si notre mission première est la protection des civils, je peux contribuer modestement à l’autonomisation de ces femmes ». 

Ce mois de mars, la cheffe d’escadron prévoit l’organisation d’une formation pour une cinquante de femmes ainsi que des sensibilisations et des visites dans les camps de déplacés et au niveau de la prison. 

« Le message que je veux lancer aux femmes de l’Ituri en ce mois de mars, c’est qu’elles se battent pour être autonomes. Qu’elles puissent aussi faire partie des solutions car, pour un avenir durable, il faut une égalité entre hommes et femmes. Je les admire beaucoup du fait de leur engagement et de leur courage malgré la situation difficile en Ituri », explique-t-elle. 

Comme pour joindre l’acte à la parole, mardi 8 mars 2022, Mame Rokhaya Lo et son équipe ont réuni plus de 50 femmes de Bunia, dont des personnes handicapées, toutes communautés confondues, pour un échange autour de leur autonomisation. Ces femmes réunies au sein de l’association Fraternité ont suivi une formation sur la fabrication de produits citrodorants (savon liquide pour vaisselle, ménage, toilettes, désinfectants…). 

« Nous sommes ravies de cette formation qui va nous aider à être autonomes, à recouvrer notre dignité et à ne pas toujours dépendre des hommes ou des autres. Grâce à la formation reçue, nous allons entreprendre de petites activités pour la survie de nos familles », a déclaré Noella Mwinda Tshipata, présidente de Fraternité.

Les principales missions des Unités de Police Constituée tiennent en deux volets :

  • La protection des civils, du personnel et des installations des Nations Unies : à travers des patrouilles parfois seules ou combinées avec la Police civile de la MONUCO ou avec la Police nationale congolaise (PNC).
  • Le renforcement des capacités des institutions locales : à travers la participation à la formation continue des éléments de la PNC en maintien de l’ordre par exemple.