Conférence de presse - Adama Dieng : “Il est urgent que cesse la violence... il convient de faire en sorte qu’aucun crime ne demeure impuni"

Conférence de presse  - Adama Dieng : “Il est urgent que cesse la violence... il convient de faire en sorte qu’aucun crime ne demeure impuni"
24 juin 2017

Conférence de presse - Adama Dieng : “Il est urgent que cesse la violence... il convient de faire en sorte qu’aucun crime ne demeure impuni"

L’Explorateur : Pensez-vous que le processus de l’Accord global et inclusif de décembre 2016 sera respecté à la lettre malgré l’intervention de la communauté internationale ?
Adama Dieng : il faut espérer que cet Accord sera respecté. Bien entendu, il faut tout mettre en œuvre pour que les acteurs politiques tiennent l’engagement qu’ils avaient pris. Jusqu’à l’heure où je vous parle, il n’est pas indiqué que cet Accord ne sera pas respecté. Il faut tout simplement continuer à déployer les efforts qui s’imposent. Quand on voit bien sûr ce qui se passe dans le Kasaï, il est urgent que cesse la violence, il est urgent que les populations retournent dans leurs foyers, que la CENI puissent s’y déployer également, en vue des inscriptions sur les listes électorales des électeurs Kasaïens. Et bien entendu, il faut que la situation soit apaisée aussi dans les autres provinces affectées.

Numerica TV : Vous êtes Conseiller spécial du Secrétaire général en charge de la prévention du génocide. Pensez-vous qu’on peut parler d’un génocide par rapport à ce qui s’est passé dans le Kasaï ?
Adama Dieng : Eh bien, je vous dirai tout de suite et de la manière la plus catégorique, il n’y a pas de génocide dans le Kasaï. Il y a aujourd’hui une violence qu’il faut terminer, faire cesser, et le plus rapidement possible.
Maintenant, s’agissant du génocide comme vous le savez, c’est un crime, qui est le crime des crimes. Cela a été estampillé ainsi, c’est parce que tout simplement il tient sa source, à la discrimination et c’est la forme suprême de discrimination, dans la mesure où il y a génocide lorsqu’un groupe est ciblé avec l’intention d’exterminer ce groupe en partie ou en totalité, simplement du fait de sa race, de son ethnie, de sa nationalité ou de sa religion.
Ce sont les quatre groupes protégés. Et vous conviendrez avec moi, que ce n’est pas le cas aujourd’hui dans le Kasaï.

Le Phare : Par rapport au procès qui se tient dans le Kasaï justement, à l’encontre des présumés acteurs des violences qui ont eu lieu dans le Kasaï. Quel crédit vous accordez à ce processus? Et puis, est-ce que les Nations Unies sont parties prenantes à cette procédure ?
Je voudrais tout simplement que le Bureau Conjoint des Nations Unies aux Droits de l’Homme de la MONUSCO, qui comme vous le savez dispose d’ailleurs d’experts, d’éminents juristes, observe ce procès.
Et il est clair, que demain quand ce procès arrivera à son terme, ce bureau, certainement, partagera son avis.
Mais pour l’instant, le procès est en cours. Laissons le soin aux magistrats de mener leur travail, et je pense que la République démocratique du Congo dispose quand même d’un minimum de magistrats compétents. La preuve en a été administrée récemment, dans le cadre de la sélection du Procureur pour le Tribunal spécial de la République centrafricaine.
C’est un Congolais qui a été retenu, que j’ai rencontré d’ailleurs il y a deux semaines à Genève, et je l’ai félicité pour l’excellent travail abattu ici au Congo, dans le cadre de la répression des violences sexuelles.
Donc, laissons le soin à ces magistrats d’assumer leur travail, et j’espère tout simplement que ce qu’on attend d’un magistrat, c’est de rendre la justice en toute indépendance et en toute impartialité.

Planète Télévision : M. Dieng, vous êtes juriste de formation. Apparemment, si j’ai bien suivi votre proposition, vous avez totalement oublié les massacres commis à Beni. Ces massacres avaient même interpellé le Pape. Suite à ces massacres, qu’est-ce que vous avez aussi à dire au peuple de Beni, pour les encourager, et que les auteurs puissent être également traduits en justice ?
Il est évident que les massacres auxquels vous faites référence, ont choqué plus d’un, et ces massacres ont été également condamnés.
Maintenant, il convient tout simplement, et je me répète,  il convient de faire en sorte qu’aucun crime ne demeure impuni. Et pour ce faire, il faut impérativement que les victimes, quand bien même elles peuvent avoir des réserves sur la justice de ce pays, qu’elles portent quand même plainte. Parce que moi, je dis, tôt ou tard, justice sera faite.
Donc, en référence même pour ce qui concerne le Kasaï, des victimes de Nyanza, auxquelles François [Grignon, assistant spécial de M. Dieng Ndrl] a fait tout à l’heure référence, ont hésité et hésitent encore à porter plainte par crainte des représailles, mais aussi, parce que tout simplement, elles estiment que ça ne sert à rien de porter plainte.
Je suis, comme vous l’avez rappelé, un juriste. Je crois fondamentalement à la primauté du droit et pour moi, il vaut mieux utiliser les voies de recours judiciaires, plutôt que de recourir à des armes pour régler des conflits.  

Agence Reuters : Vous avez évoqué des abus, des crimes commis par les forces de sécurité nationales. D’après vous, est-ce qu’il s’agit des dérapages isolés, ou de quelque chose de plus organisé, une stratégie coordonnée à un plus haut niveau ?
Seule une enquête, permettra de déterminer s’il y a un lien quelconque.
Mais ce qui est important et je l’ai signalé dans mon propos introductif, c’est que des enquêtes soient ouvertes  immédiatement pour que la lumière soit faite, pour que les gens sachent qu’il y a une justice dans ce pays que vous soyez un officier des FARDC, que vous soyez un simple citoyen, lorsque vous commettez un crime, vous devez en répondre devant la justice. Je l’ai dit, les miliciens de KN [Kamuina Nsapu], ont commis des atrocités, mais j’ai aussi insisté sur les atrocités commises par des unités des forces de sécurité et de défense.
Aussi, ai-je demandé à l’Auditeur général de tout mettre en œuvre et j’ai même offert d’apporter un soutien pour faciliter cette justice. Si l’auditeur mène ses enquêtes que la police arrive à établir et passe le dossier au Procureur général de la République, ce dernier déclenchera l’action publique qui permettra de faire la lumière et certainement, apportera  une réponse judiciaire à la question que vous avez posée.

Agence Chine Nouvelles : Vous dites qu’il faut réduire la militarisation dans la zone du Kasaï. Savez-vous qu’il y a eu plus de 200 policiers décapités ? Et que c’est suite à cette situation que le Président, devant le Parlement, a déclaré la mise en place d’une zone opérationnelle dans le Kasaï pour apporter appui aux policiers et intervenir finalement sur le plan militaire. Est-ce qu’aujourd’hui, vous rassurez que la situation est redevenue normale à un niveau où les policiers peuvent reprendre [en mains] la situation ou bien, ce serait peut-être aller trop vite, selon vous-même?
La situation n’est pas encore retournée à la normale. Et c’est pourquoi je suis présent aujourd’hui dans ce pays.
Mais, il faudra envisager, et de manière graduelle, cette démilitarisation qui permettra d’une part, de libérer les enfants qui sont dans ces territoires contrôlés par les miliciens et, deux, permettra aussi d’établir une ligne de communication avec ces milices. Parce qu’à la vérité, il n’y a pas d’autre solution que le dialogue pour ramener la stabilité dans cette région. Si les gens ont quitté leurs foyers, c’est parce qu’ils craignent pour leur sécurité. J’ai été extrêmement choqué par les crimes commis contre les agents de l’Etat, contre ces forces de police. C’est tout simplement inacceptable ce qui a été fait.
Mais pour autant, cela ne justifie pas la réponse, que je juge disproportionnée et indiscriminée, qui a été apportée par les forces de sécurité.
Maintenant, il est possible que si on engage ce dialogue, et qu’on arrive petit à petit à démilitariser, je ne dis pas qu’il faille immédiatement démilitariser, c’est un processus, cette démilitarisation, c’est un processus. Et, il est important de passer par là. Parce que si vous ne démilitarisez pas, vous ne pourrez pas avoir un quelconque dialogue.
Et c’est ce qu’envisage, et que je salue comme mesure, le ministre de l’Intérieur à travers le forum de paix et de réconciliation, suppose aussi que ceux-là qui sont doublement victimes surtout les enfants, puissent être libérés.
Voilà pourquoi je dis, si vous continuez avec une réponse militaire qui va entraîner d’autres pertes en vies humaines, vous ne réglerez pas le problème.

Congo Infos : Monsieur Adama Dieng, vous êtes ici depuis le début de la semaine, vous avez été reçu par les autorités du pays, vous avez fait des descentes dans des zones troubles, alors vous avez vu et entendu des gens vous donner leurs témoignages. Est-ce que vous pensez vraiment qu’au mois de décembre, il y aura des élections ici en RDC, selon tout ce que vous avez vu ?
Je ne peux pas spéculer. Comme vous le savez, il y a eu l’Accord de la Saint-Sylvestre, il appartient aujourd’hui aux autorités de ce pays de mettre en œuvre avec tous les acteurs impliqués, cet Accord.
Il est évident que les délais sont certes courts, mais rien n’est impossible là où il y a une volonté politique. Et là où il y a volonté politique, s’il y a aussi absence de moyens, ceux-là qui sont soucieux d’avoir des élections dans les délais prescrits, feront aussi l’effort d’appuyer.
Mais pour moi, il est évident, que la situation trouble aujourd’hui dans le Kasaï, qui se propage, si cette situation n’est pas maîtrisée, il est fort à parier que les délais pourraient ne pas être respectés. Mais, j’espère que ce ne sera pas le cas et que tous les acteurs feront preuve de détermination, pour assurer la tenue d’élections libres et démocratiques dans ce pays.