En visite en RDC : Le chef des opérations de maintien de la paix s’inquiète de la poursuite des violences dans les Kasaï

En visite en RDC : Le chef des opérations de maintien de la paix s’inquiète de la poursuite des violences dans les Kasaï
16 juin 2017

En visite en RDC : Le chef des opérations de maintien de la paix s’inquiète de la poursuite des violences dans les Kasaï

Lors d’une visite de cinq jours en République démocratique du Congo (RDC) du 11 au 16 juin 2017,  le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix, a réaffirmé l’engagement de l’ONU à poursuivre ses efforts pour appuyer la RDC et son peuple.

Monsieur Lacroix s’est rendu notamment dans la région des Kasaï et a exprimé son inquiétude sur la violence qui y règne.
Le Secrétaire général adjoint a fait part de l’inquiétude profonde de l’ONU concernant la violence persistante et les graves atteintes aux droits de l’homme dans les Kasaï. Il a souligné combien il était important que des poursuites soient engagées contre tous les auteurs de crimes et a promis le soutien total de l’ONU pour que les responsables du meurtre de Michael Sharp et de Zaida Catalán soient traduits en justice.

M. Lacroix s’est rendu mercredi 14 juin à Kananga, la capitale provinciale du Kasaï central, pour exprimer la solidarité de l’ONU avec les habitants de la région et discuter des efforts en cours pour renforcer la présence de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO) dans la région.

Le chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU s’est aussi rendu dans la province du Nord-Kivu, dans l’Est du pays.

À Goma, il a échangé avec le Gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, sur la façon dont la MONUSCO peut mieux aider à relever les défis sécuritaires actuels et les tensions intercommunautaires dans la province.

À Kinshasa, le Secrétaire général adjoint a rencontré vendredi 16 juin le Président congolais Joseph Kabila, au terme de sa visite qui lui a permis des échanges de vues avec des membres du gouvernement, des autorités locales, et des acteurs politiques et de la société civile, sur la situation politique, sécuritaire et des droits de l’homme dans le pays.

Tout au long de sa visite, M. Lacroix a réaffirmé l’engagement de l’ONU à appuyer la mise en œuvre intégrale de l’Accord du 31 décembre à travers les bons offices du Représentant spécial du Secrétaire général en RDC, Maman Sidikou, et les efforts de la MONUSCO pour contribuer à créer un environnement pacifique propice à la tenue d’élections libres, justes et inclusives d’ici la fin de l’année.

Avant de prendre congé de ses hôtes congolais et onusiens, le Secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des opérations de maintien de paix de cette organisation Jean-Pierre Lacroix a accordé une interview à Radio Okapi. Il a évoqué les raisons de son voyage en RDC sitôt après sa nomination à la tête du département de maintien de la paix. Et bien évidemment il évalue le travail de la MONUSCO en RDC et explique sa vision pour l’avenir de la plus grande Mission de maintien de paix.

Interview :
Vous venez de passer 5 jours en RDC, pays que vous visitez pour la 1ère fois depuis votre prise des fonctions, vos impressions?
J’y étais venu antérieurement dans d’autres fonctions et l’objectif de cette visite, c’était de rencontrer tous les protagonistes qui, d’une manière ou d’une autre concourent à nos efforts, bien entendu, les autorités congolaises, les forces politique congolaises,  les forces vives de ce pays, la société civile, bien entendu le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies qui dirige la MONUSCO, Maman Sidikou et  toutes les équipes de la MONUSCO. Je voudrais d’entrée de jeux leur rendre hommage à tous, car la MONUSCO dirigée par Maman Sidikou fait un travail exceptionnel, un travail inlassable au service des Congolais.  Je voudrais vraiment rendre hommage à ce travail.

Dès votre arrivée, vous avez parcouru aussitôt quelques territoires notamment Kananga et Goma.  Quel constat ? Quelles leçons?
Effectivement, je suis allé d’abord à Kananga puis ensuite dans l’Est du pays. Alors à Kananga, dans le Kasaï, il y a cette situation sécuritaire très sérieuse que vous connaissez. Nous essayons de faciliter le retour à la paix, le retour de la confiance de manière à ce que les populations puissent retourner chez elles, ne plus avoir peur ici, comme ailleurs l’enregistrement des électeurs, la préparation des élections puisse se faire. Nous avons renforcé nos moyens dans le Kasaï, à la fois nos moyens militaires et aussi notre présence civile; nous sommes en train de regarder le moyen de renforcer davantage encore cette présence et de cette manière  nous espérons donc être mieux en mesure de soutenir la réalisation des objectifs que j’ai dit,  mais la responsabilité première pour protéger les populations et rétablir la sécurité, c’est évidemment celle des autorités congolaises, donc nous devons travailler en bonne relation et en bonne coopération avec elles. C’est aussi pour cette raison que j’ai vu sur place le gouverneur de la région du Kasaï. Maintenant sur le Kasaï, c’est qu’il y a eu clairement des violations très graves  des droits de l’homme qui ont été commises et il est fondamental que ceux qui sont responsables de ces violations d’où qu’ils viennent, doivent répondre de leurs actes. J’ajoute que, comme vous le savez, nous avons eu deux collègues, deux experts des Nations Unies qui ont été assassinés là-bas. Et évidemment pour les Nations Unies et pour les Etats dont ces experts sont ressortissants, Etats Unis, Suède et Chili, il est fondamental, je le souligne, vraiment fondamental que tous les responsables de ces assassinats soient également traduits en justice. Et si vous le voulez bien, passons maintenant à l’Est du Congo. Effectivement, je suis allé à Goma, nous avons eu des contacts à Beni par VTC avec les autorités et la société civile. Le constat là-bas, c’est qu’il reste des défis sécuritaires, ça dépend un peu des zones, je crois qu’il y a eu des progrès dans certains domaines. Il nous a été dit que certains mouvements sont moins actifs mais d’autres le restent, il y a une situation qui dans l’ensemble est jugée encore volatile. Dans ce contexte, là aussi en liaison avec les autorités civiles  et militaires dans cette zone, nous poursuivons nos efforts pour aider à apaiser, à rétablir là où c’est  nécessaire une situation de calme. Donc il s’agit d’une action qui est à la fois militaire en liaison avec les FARDC, et c’est aussi une action civile, puisqu’il faut travailler avec la population, bien entendu avec les autorités civiles  et faciliter l’apport à cette population d’un appui, de l’aide humanitaire.   

Jean-Pierre Lacroix, nous savons tous que les effectifs de la MONUSCO ont été un peu réduits depuis un moment. Pensez-vous que la MONUSCO a les effectifs requis pour faire face notamment à ces situations dans le Kasaï comme dans l’Est du pays par exemple?  
Ce n’est pas tellement, une question d’effectifs, bien entendu la taille compte, c’est davantage, une question de la manière dont on utilise les ressources et nous cherchons à faire en sorte que nos capacités humaines, encore une fois, civiles, militaires, policières, soient, en permanence, les mieux à même d’intervenir là où c’est nécessaire, d’être présents, là où c’est nécessaire être mobiles, flexibles,  réactifs, avoir une parfaite liaison et intégration entre l’aspect militaire, l’aspect police et puis le travail civil.

Concernant justement par exemple la protection civile, est-ce qu’un redéploiement ou une recomposition des effectifs est-il déjà conçu, planifié et publié?
Au Kasaï, nous avons une présence substantielle environ de 250 hommes et nous allons encore renforcer cette présence, mais plus spécifiquement pour bien protéger les civils il y a des efforts qu’on peut accroitre. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir des effectifs considérables. En tout cas les effectifs en soit,  c’est peut-être pas le critère. Le critère pour nous, c’est l’efficacité.

Alors concernant les élections par exemple, quel plan est mis en place? Vous savez que dans le Kasaï, il est clairement dit que ce sont deux provinces particulièrement qui ne sont pas encore concernées par l’enrôlement; est-ce que la MONUSCO a prévu d’agir dans le sens de favoriser cela ?
Bien sûr, cela veut dire plusieurs choses : évidemment quand il n’y a pas de sécurité, ça devient difficile d’organiser les élections. Donc notre effort pour essayer de ramener la sécurité, encore une fois en liaison avec les autorités congolaises parce qu’elles ont une responsabilité première et notre effort pour ramener la sécurité, il est bien entendu au bénéfice des populations, c’est la protection civile, il est aussi au bénéfice de la préparation des élections.
Donc vous voyez, aide au processus politique qui porte sur la mise en œuvre de l’Accord du 31 décembre et puis aide pour que les conditions sur le terrain soient adéquates pour organiser les élections.
 Dernier aspect des choses justement toujours sur le rôle important que pourrait jouer la MONUSCO, vu tout ce nombre important de déplacés, est-ce qu’il y a un programme pour eux ?
Alors, les déplacés, effectivement c’est une grande source de préoccupations, nous travaillons vraiment en très bonne entente avec les acteurs humanitaires des agences des Nations Unies, les Ong, on est tous la même famille, on a tous les mêmes objectifs. Et le Représentant Spécial, en plus Maman Sidikou fait un gros effort pour bien faire en sorte qu’on travaille tous comme une seule équipe.
Maintenant, nous travaillons pour faciliter l’accès de l’aide humanitaire aux populations déplacées.  Les Nations Unies lancent un appel, pour que les donateurs fassent un effort parce que  la situation dans ce pays est difficile. C’est un appel que nous lançons inlassablement, quotidiennement, nous faisons des plaidoyers, des efforts pour qu’il y ait davantage de renforts dans cet effort humanitaire parce qu’il est sous financé et les populations ont besoin de cette aide. Il y a aujourd’hui plus de 3 millions de personnes déplacées, beaucoup plus qu’au début de  l’année dernière, donc il est indispensable qu’elles reçoivent plus de secours.

Jean-Pierre Lacroix vous êtes Secrétaire général adjoint de l’ONU depuis seulement quatre mois, mais pourquoi la RDC et pourquoi en ce moment-ci?
 D’abord, parce que bien sûr la MONUSCO est une des plus grosses operations des Nations Unies, donc je voulais très vite la visiter et visiter ce pays, visiter les équipes.

Alors Jean-Pierre Lacroix, sans detour que pensez-vous du travail de la MONUSCO en RDC? Echec ou réussite?
La MONUSCO fait encore une fois un travail qui est exemplaire, remarquable dans tous les domaines. La réussite de la RDC ce sont les Congolais qui en décideront, les autorites congolaises, la population congolaise, mais nous,  nous sommes en appui, donc nous faisons le maximum, encore une fois, nous déployons de gros moyens. Quand on regarde la situation, là où nous sommes presents, là où nous déployons les moyens, il y a eu quand même des améliorations et des acquis qui sont incontestables.

Ça fait déjà 18 ans que cette mission est présente en RDC. Mais l’insécurité persiste et la paix n’est toujours pas totalement rétablie alors qu’il y a une Mission de maintien de la paix sur le terrain. Comment vous expliquez cela? Selon vous, est-ce que la MONUSCO a une part de responsabilité dans cette situation ou pas?
C’est vrai, il y a incontestablement des défis qui restent, mais encore une fois, la MONUSCO, les Nations Unies d’une manière générale sont en appui, la solution ne peut pas venir de la MONUSCO, nous nous sommes en appui, ce sont les Congolais qui doivent trouver la solution. Effectivement les attentes, quand on déploie des moyens importants dans un pays, dans un environnement où les gens souffrent de la pauvreté, il y a des attentes très fortes, c’est compréhensible. Dans plusieurs pays, nous avons eu des opérations qui sont ensuite parties, après avoir rempli leur mandat, pourquoi ont-elles pu partir? Parce qu’une solution politique durable a pu être trouvée. Regardez la Côte-d’Ivoire, il y a eu les élections, il y a eu une croissance économique, une transition démocratique et aujourd’hui l’opération des Nations Unies quitte le lieu, mais elle quitte le lieu parce qu’il y a eu tout ça, même s’il reste des défis, mais les Nations Unies ne sont pas là pour résoudre tous les défis d’un pays, ça voudrait dire qu’on est un 2ème gouvernement.

L’exemple de la Côte-d’Ivoire est un bon exemple. Les Congolais se posent la question, si la MONUSCO qui a déjà fait 18 ans en RDC, a vraiment envie d’aider la RDC à se relever, je rappelle qu’il y a eu deux processus électoraux, le 3ème cycle n’a pas eu lieu. Qu’est-ce qui se passe exactement ?
La volonté des Nations Unies, sa détermination est très forte, mais il faut comprendre que les Nations Unies ne peuvent pas imposer quoi que ce soit, à un pays souverain. Les Nations Unies ne peuvent pas imposer la tenue d’une élection, on ne l’a pas fait en Côte-d’Ivoire.

Que dire alors de l’insécurité qui est notamment l’œuvre des groupes armés congolais et étrangers dont les FDLR, les ADF et bien d’autres. Pourtant la MONUSCO dispose des unités combattantes qu’on a vues à l’œuvre contre le M23. Pourquoi n’arrivent-elles pas à mettre fin à ces autres groupes armés comme ce fut le cas avec le M23 ?
 Pour les FDLR et les ADF, d’abord, il y a des nuances, dans nos discussions à l’Est du pays, il ressort que les FDLR n’avaient pas complètement disparu, mais le degré des menaces qu’il représentait était quand même sensiblement  un peu plus  faible qu’auparavant.

Est-ce que vous pensez que la tenue des élections, la présidentielle notamment serait la solution à la crise actuelle en RDC ou pas ?
Ce qu’on observe est que les solutions politiques durables dans des très nombreux pays où nous avons été déployés sont passées par la tenue des élections libres et démocratiques. Ce sont des étapes qui sont importantes même fondamentales pour l’apaisement. Et lorsque nous procédons aux opérations d’enrôlement des électeurs, on constate un grand désir de la part de congolais de participer à ces élections. Et nous travaillons de manière acharnée et avec beaucoup de détermination pour faire avancer ce processus politique.  

Jean-Pierre Lacroix, les violations des droits de l’Homme sont régulièrement dénoncées par les Ong. Que fait la MONUSCO pour redresser cette situation?
Oui, ça c’est fondamental, les violations des droits de l’Homme et notamment les violations qui ont été commises au Kasaï, elles sont très préoccupantes, le Conseil de Sécurité a exprimé de manière très claire son inquiétude et aussi la nécessite absolue qu’il n’y ait pas d’impunité, c’est-à-dire que ceux qui sont responsables  de ces violations, encore une fois d’où qu’ils viennent, il ne s’agit pas de dire, ça vient de là, plutôt que de là, etc, ce n’est pas important, l’important est que tous les responsables soient traduits en justice. Bien, nous sommes dans un pays souverain, c’est la responsabilité première des  autorités de la RDC de faire ce travail d’investigation qui doit mener à traduire en justice les responsables, mais nous  nous soutenons ce processus.  

Avez-vous rencontré le Président Kabila, de quoi avez-vous parlé avec lui, est-ce que vous lui avez parlé de l’alternance à la fin de l’année, cette alternance est-elle acceptée et aura-t-elle lieu ?
Mon programme ne se termine pas avec cet entretien. Le premier jour, j’ai rencontré le Premier Ministre, le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères, la suite de programme effectivement peut comprendre d’autres entretiens y compris à ce niveau, le message  que nous passons est toujours le même, c’est un message d’appui, d’encouragement à coopérer avec nous dans tous les domaines qui sont vitaux pour ce pays : processus politique, l’appui aux civils, l’appui aux populations, …les décisions fondamentales reviendront aux congolais, aux autorités congolaises car les Nations Unies sont en appui.

De nombreux mouvements citoyens de la RDC réclament de temps en temps et parfois même de manière bien appuyée, le changement du leadership de la MONUSCO, prétextant  notamment que  l’Accord du 31 décembre 2016 n’est toujours appliqué et que les civils ne sont pas suffisamment bien protégés. Quelle réponse?
Ma réponse est que nous avons vu avec Maman Sidikou, les représentants de la société civile ici, les représentants des forces politiques à Kinshasa, à Goma aussi à Beni, ainsi que les autorités, je crois le message que l’on entend, c’est un message d’attachement à la MONUSCO, au contraire on nous demande de rester et de faire plus.