L'ONU publie un rapport sur les crimes perpétrés en RDC entre 1993 et 2003

1 oct 2010

L'ONU publie un rapport sur les crimes perpétrés en RDC entre 1993 et 2003

Genève, 1 octobre 2010 - La Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Navi Pillay, a publié vendredi un rapport de 550 pages répertoriant 617 des plus graves violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, commises au cours d'une période de dix ans par les acteurs étatiques et non étatiques dans la République démocratique du Congo (RDC). Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été violées, mutilées ou victimes d'autres formes de violence au cours de la décennie en question.

Le rapport examine également en détail les différentes options en termes de vérité et de réconciliation, ainsi que pour traduire en justice les auteurs présumés de crimes graves, en vue de mettre fin à un climat d'impunité quasi-totale et poser les bases pour une paix durable et pour le développement en RDC.

Le rapport est le résultat d'un « Projet Mapping » qui a nécessité plus de deux ans pour les recherches et la finalisation, dont huit mois de travail sur le terrain en RDC par une équipe de 33 personnes, chargée d'interroger des témoins et d'examiner d'autres informations recueillis auprès d'un large éventail de sources. Le rapport indique que de nombreuses attaques furent dirigées à l'encontre des populations civiles qui ne participaient pas aux hostilités, constituées principalement de femmes et d'enfants. Plus de 1280 témoins ont été interviewés afin de corroborer ou d'infirmer les violations alléguées, y compris des incidents jamais documentés auparavant, et plus de 1500 documents ont été recueillis et analysés.

La genèse de l'exercice de Mapping remonte à 2005 lorsque, deux ans après l'application d'un accord de paix en RDC, trois fosses communes ont été découvertes dans l'Est du pays. L'année suivante, plusieurs départements de l'ONU ont convenu de recommander un « Exercice de Mapping ». Dirigé par le Haut-Commissariat aux droits de l'homme (HCDH), l'exercice avait été conçu comme une étape cruciale vers la justice et pour mettre fin au cycle de l'impunité en RDC. Le Secrétaire général a informé le Conseil de sécurité en juin 2006 de son intention de procéder à l'exercice de mapping, et les termes de référence furent approuvés en mai 2007. Des discussions ont également eu lieu avec le gouvernement congolais, y compris avec le Président Kabila, qui a offert sa coopération au projet.

Au mois de décembre 2007 le Conseil de sécurité entérina l'exercice dans la résolution 1794, demandant les autorités congolaises « à soutenir pleinement l'exercice d'inventaire dans le domaine des droits de l'homme entrepris dans le pays par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme ».

Les objectifs convenus étaient les suivants:

- Dresser l'inventaire des violations les plus graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003.

- Évaluer les moyens dont dispose le système national de justice pour traiter de telles violations.

- Élaborer une série d'options pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier des mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations, y compris en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme.

« La période couverte par le rapport constitue probablement l'un des chapitres les plus tragiques de l'histoire récente de la RDC » souligne le rapport. « La décennie en question a, en effet, été marquée par une série de crises politiques majeures, de guerres et de nombreux conflits ethniques et régionaux qui ont provoqué la mort de centaines de milliers, voire de millions, de personnes ».

Au-delà du récit historique des violations graves qu'il documente, l'exercice vise à aider le gouvernement congolais et la société civile dans l'élaboration d'une politique globale de mécanismes de justice transitionnelle et de réformes institutionnelles qui permettront d'établir une base solide pour une paix durable et pour le développement du pays. Ceci comprend l'identification d'options judiciaires et non judiciaires pour rendre justice aux nombreuses victimes de violations graves des droits de l'homme et mettre fin à l'impunité généralisée des personnes responsables de crimes graves.

Le rapport constate l'implication d'au moins 21 groupes armés congolais dans les graves violations des droits de l'homme, ainsi que les opérations militaires par au moins huit autres Etats en RDC. Bien que l'exercice ne visait pas à établir de responsabilité pénale individuelle, des informations sur l'identité des auteurs présumés de certains crimes ont été consignées dans une base de données confidentielle placée sous la responsabilité de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme. Le rapport identifie néanmoins les groupes armés - à la fois nationaux et étrangers - impliqués dans des incidents spécifiques.

Le rapport consacre une attention particulière à un inventaire de la violence massive à l'encontre des femmes et des enfants, commise dans un climat d'impunité quasi-totale, qui se poursuit à ce jour.

« La violence en RDC aurait été en fait accompagnée d'un usage apparemment systématique du viol et d'agressions sexuelles prétendument par toutes les forces combattantes », indique-t-il. « Le rapport met en évidence le caractère apparemment récurrent, généralisé et systématique de ces phénomènes et conclut que la majeure partie des violences sexuelles rapportées pourraient, si elles sont prouvées devant un tribunal compétent, constituer des infractions et des crimes au regard du droit national, du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire».

Déclarant que les enfants en RDC « ont trop souffert», le rapport cite des estimations qui indiquent qu'au moins 30 000 enfants ont été recrutés ou utilisés par les forces armées régulières ou des groupes armés pendant le conflit. En outre, il indique que les enfants ont été soumis à « une violence indescriptible » y compris des meurtres, des viols, des tortures, des traitements cruels, inhumains et dégradants, des déplacements forcés, ainsi que la destruction de leurs villages et la privation de tous leurs droits.

« Laisser perdurer cette situation risque de créer une nouvelle génération qui n'aura connu que la violence et la violence comme moyen de résolution de conflit, compromettant ainsi la réalisation d'une paix durable en RDC », souligne le rapport.

De graves violations des droits de l'homme liées à l'exploitation des ressources naturelles de la RDC par des acteurs nationaux et internationaux sont également répertoriées.

Dans sa préface du rapport, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme Navi Pillay déclare qu' «aucun rapport ne peut vraiment décrire les horreurs vécues par la population civile » en RDC (anciennement Zaïre), « où presque chaque individu a une expérience de souffrance et de perte à relater ».

« Bien qu'il ne vise ni à établir de responsabilités individuelles ni à jeter le blâme, le rapport - en toute franchise - reproduit les récits souvent choquants des tragédies vécues par les victimes et témoins » explique-t-elle.

« Le rapport se veut un premier pas, après un violent conflit, vers un processus de vérité parfois douloureux mais nécessaire (...). Il se tourne vers l'avenir en identifiant plusieurs chemins que pourrait emprunter la société congolaise pour composer avec son passé, lutter contre l'impunité et faire face aux défis présents de façon à empêcher que de telles atrocités ne se reproduisent ».

Bien que l'inventaire épouvantable des graves violations fait dans le rapport souligne de façon saisissante le besoin de justice, la capacité et la volonté de la RDC d'aborder ces questions restent très limitées, estime le rapport, notant que le mauvais fonctionnement des institutions judiciaires « a laissé des millions de victimes sans recours et sans voix ».

Le nombre très limité d'auteurs présumés traduits en justice pour des violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises en RDC « n'a fait qu'encourager la commission de nouvelles violations graves qui perdurent jusqu'à ce jour » constate le rapport. « (...) En raison du caractère multi dimensionnelle de la quête de justice pour les crimes qui auraient pu être commis en RDC, la mise en place d'une politique holistique de justice transitionnelle qui impliquerait la création de mécanismes divers et complémentaires, judiciaires et non judiciaires, s'avère cruciale ».

Ces mécanismes pourraient être identifiés parmi les options examinées dans le rapport, y compris la création d'une juridiction mixte, impliquant éventuellement des « tribunaux hybrides » avec du personnel national et international; la création d'une nouvelle Commission Vérité et Réconciliation; des programmes de réparation et des réformes à la fois du secteur de la justice et des forces de sécurité. Des consultations nationales inclusives devraient être tenues afin de s'assurer que dans son ensemble, le processus soit crédible et légitime.

Le rapport note que la réforme des secteurs de sécurité et de la justice serait cruciale afin que les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire ne se répètent plus en RDC.

Le rapport détaille des cas dans lesquels les forces zaïroises (devenues ensuite congolaises) de sécurité ont été « directement ou indirectement responsables de violations graves du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire ». Certaines unités de groupes armés responsables de ces types de violations ont été intégrées dans le institutions de transition et les services de sécurité. En demandant un « assainissement » (vetting) de l'armée afin d'exclure les personnes responsables de violations, le rapport note également que le pays est toujours en proie à une violence persistante et à d'autres abus commis par les forces de sécurité, ainsi que par d'autres acteurs.

La Haut-Commissaire Pillay écrit dans sa préface que le rapport « présente un certain nombre d'options à considérer à la fois par les acteurs congolais et les acteurs internationaux engagés dans la tâche difficile de réformer le système de justice qui est confrontée à de multiples défis. Il plaide pour un engagement renouvelé du Gouvernement à assurer que la justice devienne l'un des piliers fondamentaux de la démocratie congolaise ».

S'exprimant vendredi, lors de la publication du rapport, Mme Pillay a noté que la divulgation fin août, dans le journal français Le Monde d'un projet antérieur du texte, après la distribution du rapport en juin et juillet à six Etats de la région, avait conduit à « des discussions intenses sur un seul aspect » du rapport - à savoir l'évocation de la possibilité que les forces armées du Rwanda et leurs alliés locaux auraient pu commettre des actes pouvant constituer des crimes de génocide.

« Le rapport souligne que cette question ne peut être tranchée que par un tribunal compétent », déclare-t-elle. « Il est important de rappeler que le rapport porte sur la RDC, ainsi que sur la conduite des États voisins sur le territoire de la RDC. J'espère que, maintenant que le rapport est publié, il sera examiné attentivement, en particulier les mesures qu'il propose afin que les auteurs des actes en répondent et pour la justice en RDC, après une telle litanie d'actes épouvantables. Les millions de victimes congolaises des violations commises par une gamme extrêmement large d'acteurs méritent rien de moins ».

Abordant les spéculations sur la date de la publication du rapport et sur les influences sur son contenu, la Haut-Commissaire a souligné que le rapport faisait l'objet de changements jusqu'à la fin août. « A ce moment là, nous avions reçu des commentaires constructifs du gouvernement de la RDC, que nous avons pris en compte en finalisant le rapport », précise-t-elle. « Toutefois, la substance du rapport demeure essentiellement la même ».

La date de sortie a été repoussée d'un mois pour donner à tous les Etats concernés plus de temps pour faire des commentaires. « Je me suis engagée à publier ces commentaires avec le rapport, si les Etats le souhaitent. Il est important de consigner leurs points de vue », a déclaré la Haut-Commissaire, soulignant que les commentaires reçus jusque-là ont été publiés sur le site internet du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (www.ohchr.org).

La Haut Commissaire a noté que le rapport a « le potentiel de stimuler un débat bien nécessaire, une prise de conscience et des changements concrets en RDC, et j'espère sincèrement qu'il deviendra en effet un atout positif vers un changement. Parce que - comme les viols massifs atroces du mois d'août à l'encontre de centaines de femmes et de filles et de quelques hommes et garçons l'ont si bien démontré - un changement significatif et durable est désespérément nécessaire en RDC. Le fait que 220 ONG congolaises ont déjà signé un message commun de soutien pour le rapport est, je crois, une expression de l'espoir qu'elles y ont mis ».

Liens pertinents:

- Déclaration de la Haut-Commissaire

- Déclaration du Représentant permanent de la RDC auprès de l'ONU

Fiches d'Information:

- Projet Mapping

- Crimes

- Violence sexuelle

- Enfants

- Ressources naturelles

- Etats tiers

- Impunité

- Justice transitionnelle