Renforcer l’état de droit et la protection des civils en République démocratique du Congo

Leila Zerrougui, Représentante spéciale du Secrétaire général en République démocratique du Congo, arrive à Fataki, dans la province de l’Ituri, suite aux attaques meurtrières contre la population. 1er avril 2018. © MONUSCO/Michael Ali

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11 sep 2018

Renforcer l’état de droit et la protection des civils en République démocratique du Congo

Récemment, les approches visant à fournir un appui à l’état de droit dans les situations de conflit et de post-conflit ont considérablement évolué. Alors qu’auparavant l’appui apporté au secteur judiciaire était généralement considéré comme étant efficace dans les situations post-conflit, les expériences récentes vécues dans le cadre des opérations du maintien de la paix ont montré que le soutien de la lutte contre l’impunité et le renforcement du secteur judiciaire pouvaient permettre d’engager un dialogue politique avec les principales parties prenantes et d’influencer leur comportement, à la fois dans les situations de conflit et de post-conflit, jetant les bases d’une paix durable même avant que celle-ci ne soit pleinement rétablie. On reconnaît donc de plus en plus qu’un appui à la justice peut être utilisé comme un élément essentiel de l’engagement politique des Nations Unies dans le processus du maintien d’une paix durable.

Cette expérience a été particulièrement importante en République démocratique du Congo (RDC) au cours des dix dernières années. En 2008, les activités des groupes armés à l’est du pays ont repris et avec les attaques contre la population civile, la situation est devenue de plus en plus préoccupante. En 2009, des membres des groupes armés ont été intégrés massivement dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) sans avoir été soumis à un contrôle suffisant. Si cela a permis de mettre fin aux combats, cela a aussi permis à ceux qui avaient commis des crimes graves contre la population civile de se joindre à l’armée nationale qui continuait de se battre contre les groupes armés restants.

À partir de la fin de l’année 2008, la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) a été de plus en plus déployée pour soutenir les opérations des FARDC contre les groupes armés afin de protéger la population civile. Entre 2008 et 2010, le mandat de la mission a considérablement évolué et une approche plus globale a été adoptée pour apporter un appui aux FARDC. Les Nations Unies ont collaboré avec les forces armées nationales dans des opérations afin de dissuader et d’affaiblir les groupes armés qui posaient un véritable danger pour la population civile. Toutefois, les forces armées congolaises devaient respecter le droit international humanitaire, les droits de l’homme et le droit des réfugiés tout en lançant leurs opérations. Une double approche a été mise en place pour la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République du Congo (MONUSCO). Premièrement, une politique de soutien conditionnel a été adoptée par laquelle les membres des FARDC ayant commis des violations contre la population civile dans la conduite de leurs opérations ou à cause de leur indiscipline ne bénéficieraient pas d’une assistance. Deuxièmement, le mandat de la mission consistait à fournir un appui au secteur judiciaire afin d’épauler le Gouvernement congolais dans la lutte contre l’impunité. Si les groupes armés et les forces armées congolaises avaient commis des infractions, elles seraient tenues responsables. 

Associant la prévention et la responsabilité, cette approche a permis d’établir une politique de soutien conditionnel aux FARDC, qui est ensuite devenue la base de la politique de diligence voulue en matière de droits de l’homme des Nations Unies et qui a permis de renforcer la chaîne de justice pénale militaire. Les militaires de haut grade ont été les premiers visés afin d’établir un exemple et de veiller à ce que ceux qui ont commis des violations soient tenus responsables devant le système judiciaire national et ne bénéficient pas de l’appui des Nations Unies. Il s’agissait d’une approche entièrement nouvelle, les Nations Unies ayant hésité jusqu’ici à soutenir les juridictions militaires. En RDC, cependant, cette approche, associée à la fourniture d’un appui à l’armée nationale, a permis au Gouvernement et aux Nations Unies de collaborer dans la lutte contre les groupes armés, de promouvoir la lutte contre l’impunité et de renforcer l’état de droit alors même que le conflit faisait toujours rage dans certaines régions du pays. Cette approche globale visant à soutenir l’état de droit a été un engagement politique renforçant l’engagement des Nations Unies dans le processus de paix en RDC.

Alors que les efforts déployés par l’Organisation pour mettre en œuvre cette approche se poursui-vaient, l’appui fourni pour poursuivre les auteurs de crimes graves a joué un rôle de plus en plus important. L’absence d’un système judiciaire efficace dans les régions reculées de la RDC, où de nombreuses violations ont été commises, a été considérée comme une cause sous-jacente de la violence. En fournissant un moyen efficace de rendre la justice et en démontrant que l’État pouvait tenir les auteurs de crimes graves responsables de leurs actes, la confiance dans les acteurs étatiques a été réinstaurée. En RDC, les violations commises à la fois par les groupes armés, les forces armées nationales et la police relèvent de la justice militaire. À cet égard, la MONUSCO a considéré que l’appui à la chaîne de justice pénale militaire était le point de départ le plus efficace pour renforcer un système judiciaire opérationnel et contribuer à la lutte contre l’impunité.

La Mission s’est donc particulièrement attachée à aider le Gouvernement de la RDC à renforcer la responsabilisation en tant que fonction essentielle de son système judiciaire ainsi que la responsabilité de ses forces de sécurité. Afin de s’assurer que le pays dispose d’instruments appropriés pour répondre de manière adéquate et efficace aux violations graves commises par les groupes armés et les acteurs étatiques, la justice devait être rendue dans la transparence. Pour ce faire, une approche globale devait être adoptée, centrée sur l’ensemble de la chaîne judiciaire. Cette initiative a été pilotée par les autorités congolaises elles-mêmes, les Nations Unies apportant leur appui au Gouvernement dans des domaines clés au niveau technique tout en étant engagées politiquement à sensibiliser à l’importance de l’état de droit pour appuyer le processus politique dans le pays. Cette approche a été fermement soutenue par le Gouvernement et le système judiciaire militaire, car on comprenait que si le Gouvernement pouvait tenir ses propres forces responsables de leurs actes, il serait aussi plus facile de tenir les groupes armés responsables des leurs.

Cette approche globale, qui a donc été adoptée par la Mission, a été centrée sur trois domaines essentiels : la lutte contre l’impunité; l’établissement d’institutions judiciaires opérationnelles et de prisons en état de fonctionner dans les régions touchées par un conflit armé; et la réforme judiciaire. Pour atteindre ces objectifs, la MONUSCO a introduit plusieurs mécanismes, y compris des équipes d’enquête communes travaillant avec les autorités congolaises, un réseau d’experts internationaux intégré à des points essentiels du processus judiciaire, des cellules d’appui aux poursuites judiciaires, le renforcement de la notion de procès équitable et des tribunaux itinérants.

Certaines de ces innovations, ainsi que différents outils et lignes directrices en matière de justice militaire, ont été essentielles à la réalisation des objectifs visés. Les cellules d’appui aux poursuites judiciaires, par exemple, ont été mises en place pour fournir des conseils sur la gestion des dossiers, la planification de l’instruction, les stratégies des poursuites et le respect des pratiques en matière de jurisprudence internationale. Le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies a joué un rôle dans la protection des victimes et des témoins avant, pendant et après les procès. Compte tenu de la nature délicate d’un grand nombre de ces crimes, notamment ceux liés à la violence sexuelle, ce type de protection a été particulièrement important.

Les tribunaux itinérants ont aussi été essentiels, car ils ont permis d’instruire des affaires dans des régions reculées qui n’auraient pas eu accès au système judiciaire. Cela a aussi permis aux victimes et aux témoins de participer aux procédures et à témoigner, renforçant une approche centrée sur les victimes. Dans le même temps, la MONUSCO a collaboré avec le Gouvernement pour veiller à ce que la justice soit rendue dans le respect des principes d’un procès équitable, ce qui comprend le droit à la défense à la fois pour les victimes et les auteurs présumés des violations ainsi que l’adhésion aux normes internationales.

En 2010, sept ans après la fin officielle de la deuxième guerre en RDC et lorsque la plus grande partie de ce travail a commencé, les auteurs de crimes graves poursuivis en justice étaient peu nombreux et les services judiciaires de base faisaient largement défaut dans l’est du pays, moins d’un tiers des tribunaux de paix et la moitié des prisons étant opérationnels. À ce jour, les autorités de justice militaire habilitées à juger ces crimes manquent souvent de personnel et de ressources, et ont donc des difficultés à enquêter efficacement sur tous les cas et à poursuivre leurs auteurs. Mais alors que le conflit persiste dans certaines parties du pays et que des violations continuent à être commises contre la population civile, des progrès, bien que fragiles, ont été faits. 

En mars 2018, les efforts déployés par les Nations Unies pour soutenir les autorités congolaises ont permis d’engager des poursuites à l’encontre de plus de 1 200 personnes, dont 963 ont été condamnées. Des dirigeants des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) et des groupes armés Maï-Maï, des responsables des FARDC, des membres des milices et un député figurent parmi les personnes qui ont été condamnées à une peine d’emprisonnement. La priorité accordée à 38 cas de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans trois provinces a permis d’attirer l’attention sur les atrocités et de consolider les ressources. Les autorités de justice militaire font souvent preuve d’une plus grande rigueur dans leurs enquêtes, promouvant le principe d’un procès équitable dans le processus des poursuites et mettant régulièrement en œuvre des mesures pour protéger les victimes et les témoins. Les autorités congolaises ont indiqué que la menace de poursuites est le seul moyen de dissuader les auteurs de crimes au sein des FARDC et de la police nationale congolaise.

À long terme, l’exercice de la justice devrait s’appuyer sur un système judiciaire civil. La MONUSCO a donc travaillé avec d’autres acteurs pour fournir un appui à la chaîne de justice pénale civile. Avec la nomination d’environ 2 000 magistrats en 2013, elle a reconstruit, remis en état ou équipé 57 tribunaux et bureaux de procureur dans l’est de la RDC et fourni à plus de 1 000 personnels judiciaires une formation à la gestion des tribunaux et à la tenue des dossiers. Le transfert des prisonniers étant parfois difficile à réaliser par manque de moyens et de ressources ou à cause de risques d’évasion élevés, un soutien logistique a été fourni à la mise en place d’au moins 225 tribunaux itinérants dans les prisons. Cela n’a apporté qu’une faible contribution à l’administration de la justice civile dans un grand pays. On espère cependant que, peu à peu, ces mesures, qui peuvent jouer un rôle catalyseur, pourront améliorer le fonctionnement de l’administration de la justice en RDC. 

Dans le cadre de cette approche globale visant à renforcer la chaîne de justice pénale, la MONUSCO s’est aussi concentrée sur l’appui à apporter aux prisons. Le système pénitentiaire de la RDC est caractérisé par un manque de fonds, l’insuffisance des effectifs, le mauvais état des infrastructures et la surpopulation, ce qui encourage les évasions et porte atteinte à la santé des détenus et cause leur décès. L’aide apportée par les Nations Unies comprend la remise en état de 29 prisons. En soutien aux efforts déployés par le Gouvernement pour désengorger les prisons et les rendre plus sûres et plus humaines, la MONUSCO a organisé la formation de 1 546 personnels pénitentiaires, y compris 375 femmes. Le nombre d’évasions a baissé passant de 1 331 en 2013 à 447 en 2016. Depuis 2016, l’escalade des tensions politiques et en matière de sécurité a, une fois de plus, mis en évidence la fragilité du système, avec deux évasions massives de près de 4 000 détenus à Kinshasa et à Béni. Ces incidents ont souligné la nécessité de continuer à investir dans ce secteur. Récemment, elle a apporté son appui à la sécurité et à la gestion pénitentiaires, établissant une Équipe spéciale mixte avec le Gouvernement, aidant ainsi à stabiliser les 14 prisons à haut risque. Cet effort coordonné a permis d’anticiper plusieurs attaques contre des prisons dans cinq villes importantes à l’est du pays. Les Nations Unies ont apporté leur appui aux services du ministère public à effectuer des inspections régulières dans les centres de détention, ce qui a donné lieu à la libération progressive de centaines de personnes détenues illégalement. L’Organisation a apporté aussi son appui à la remise en état des prisons, à la mise à jour des bases de données et des archives et à l’amélioration des mesures de sécurité dans les prisons et des capacités du personnel.

À un niveau plus stratégique, le Programme des Nations Unies pour le développement et la MONUSCO ont animé une conférence nationale organisée en 2015 par le Ministère de la justice congolais, contribué à la réforme de la justice en 2017 et, plus récemment, collaboré au développement d’un plan d’action pour la réforme de la justice. Des efforts ont aussi été entrepris, en collaboration avec le Conseil supérieur de la justice, pour améliorer la responsabilisation en soutenant des missions d’inspection dans les juridictions inférieures.

Malgré ces défis, les progrès réalisés à ce jour restent fragiles et devront être consolidés par des réformes structurelles du système judiciaire, des investissements dans les infrastructures, un financement prévisible et stable ainsi que par le renforcement de l’administration pénitentiaire. Toutefois, notre travail montre que la justice est mieux rendue : les plaintes peuvent désormais être déposées, le processus de réconciliation peut aboutir et l’État peut maintenir la stabilité et rendre la justice accessible à tous, même dans une situation de conflit. Le message selon lequel toute personne est responsable de ses actes et que personne n’est au-dessus de la loi est un message fort qui peut aider une société à sortir d’un conflit et à progresser sur la voie de la paix durable.

L’appui apporté par les Nations Unies au renforcement de l’état de droit en RDC, même en situation de conflit, a été avant tout un engagement politique pour venir en aide aux autorités congolaises. Il a servi de moyen de dialogue, a montré comment l’état de droit peut être encouragé, comment la lutte contre l’impunité peut progresser et comment les civils peuvent être mieux protégés. 

Initialement centrée sur la chaîne de justice pénale, la MONUSCO apporte de plus en plus son appui au système judiciaire civil. Notre travail a montré que l’engagement politique associé à un appui technique et logistique peut contribuer à la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, appliquant les lois qui font triompher la justice et qui établissent des institutions fortes pour une paix durable.